Figures mythiques de la science-fiction et de l’anticipation, les robots alimentent bien des fantasmes. Menaçants comme Hal dans l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, gentils comme Wall-e, ils semblent revenir sur le devant de la scène dans l’univers sériel. Il faut y voir une raison simple : les progrès de l’Intelligence Artificielle. Deux séries récentes proposent notamment des visions originales de ce qui pourrait être un futur avec nos compagnons à circuits. La première est Real Humans (Akta manniskor), une série tout droit venue du nord qui a fait les beaux jours d’arte. La seconde est une toute nouvelle création d’HBO, Westworld. Toutes deux nous font faire un bond dans l’avenir et nous posent des questions éthiques sur la société. Mais surtout nous font questionner sur l’essence de l’existence : qu’est-ce qu’être humain ?

 

Les robots dans la science-fiction, androïdes nouveaux compagnons de la vie de l’homme

 

Real Humans propose la vision d’un robot, appelé Hubot, qui ferait partie intégrante de la vie de l’homme. Très similaires aux être humains sur le plan esthétique, ils servent de garde-malade, comme Odi qui s’occupe de Lennart, d’aides-ménagers comme Mimi. Ils travaillent  également dans les entreprises dans la réalisation de tâches basiques et remplacent totalement la main-d’œuvre humaine dans certains cas. Real Humans prend très tôt le parti de donner un cadre intimiste et sociétal. Il est cependant assez aisé de remarquer la différence entre les Hubots et les humains, parce qu’ils ressemblent à des poupées en silicones à taille humaine avec des yeux fluorescents. Ce léger détail les rend particulièrement flippant.

 

Anticipation science-fiction : les robots sont-ils nos amis ? Odi Real Humans

Hi Barbie !

Au contraire, les hôtes de Westworld sont créés le plus possible pour ressembler aux humains. A vrai dire la différence physique est infime dans le but d’immerger totalement le visiteur dans l’univers conquête de l’ouest qu’ils ont mis en place. Les robots ont un rôle purement récréatifs, ils n’existent donc que pour distraire les visiteurs et jouent l’exact rôle des Personnages Non Joueurs d’un jeu vidéo. Ils leur donnent généralement des quêtes du type trouver des trésors, se lancer dans des chasses à l’homme…

Dans ces deux cas, les séries d’anticipation et de science-fiction mettent en avant un robot utilitaire créé par et pour l’homme. Même si elles rarement évoquées de manière directe, les machines obéissent aux lois d’Asimov. Isaac Asimov est un pilier de la littérature de science-fiction, notamment avec son long récit space opera, « Fondation » mais aussi le « cycle des robots ». Asimov a dans une optique de redéfinition de la figure du robot dans la pop-culture émis Trois Lois de la Robotique, mais c’est surtout la première qui nous intéresse. L’auteur spécifie ainsi qu’il est impossible pour un robot de faire du mal de manière active ou passive à un être humain.

Ainsi, il est impossible aux Hubots de faire de mal à un homme, sous peine de se retrouver à la casse. S’il est toutefois rapidement spécifié dans Westworld que les hôtes ne peuvent en aucun cas tuer les visiteurs, il leur est cependant possible de les frapper pour conserver un minimum de vraisemblance.

Robots science-fiction anticipation

Le mec à gauche, que nous appellerons Jean-Michel Con, se prend de belles mandales par nos amis les hôtes

Dans les deux cas, ces règles sont inscrites dans leur code. Les robots sont donc de la façon la plus littérale des esclaves des humains. Dans Real Humans, une pasteure n’hésitera pas à faire le parallèle avec l’esclavage qui a longtemps lieu aux Etats-Unis. Certains opposeront cependant le fait que le terme puisse apparaître comme un peu abusif pour une simple raison. Par exemple dans Westworld, le créateur des hôtes apparaît dans un premier temps comme un homme solitaire, une sorte de génie rêveur. Le talent de la série réside toutefois dans sa capacité à apporter une réelle profondeur à ses personnages, chaque épisode nous révèle une nouvelle partie de la personnalité d’un protagoniste. Le créateur des hôtes se révélera ainsi intraitable sur un sujet : ses robots n’ont pas de conscience, ce sont des objets pour lesquels il est inutile d’exprimer la moindre compassion.

La réification s’exprime avec force lors des passages qui se situent dans l’entreprise où sont fabriqués les hôtes. Un lieu qui ressemble presque un hôpital avec un aspect très propre, lisse et clinique. Les corps des hôtes sont toujours nus, exposés, jamais de manière sexualisée, exactement comme une sorte de décors. Le vêtement est une marque sociologique importante, c’est un attribut visible qui distingue l’homme civilisé de l’animal. Ce n’est pas pour rien que la nudité est bannie de l’espace public : c’est ce qui se rapproche du monde sauvage, de ce qui est gommé et honni par la société.

Ce qui fait un d’être humain ce qu’il est, c’est de plus sa capacités à visualiser son existence dans la continuité, c’est-à-dire de penser à son avenir. Or les robots vivent dans l’immédiateté, ils ont leur code. Ils peuvent vous leurrer en feignant parler philosophie, comme la très ambigüe Dolorès, hôte qui semble avoir été créée pour jouer la demoiselle en détresse. Mais ils ne dépasseront jamais l’horizon de leur code. Dans cette même optique, Descartes avait mis en avant ce que l’on appelle l’animal-machine, théorie selon laquelle les animaux n’auraient pas de conscience et ne seraient qu’un assemblage de rouages complexes et dénués d’âme. Leur souffrance ne serait qu’une manifestation de leur dysfonctionnement, non une émotion réelle.

 

Quand les robots deviennent nos victimes : deux séries qui pointent les dérives d’une telle technologie

 

Mais justement, n’est-ce pas leur inhumanité qui met le plus en lumières les failles de notre propre existence ?

Ce qui est particulièrement troublant dans Westworld, c’est que les créateurs des robots ont poussé le réalisme jusqu’à ce que les robots saignent et soient fait de chair. Si le concept est malsain, l’homme en noir, un mystérieux visiteur du parc qui se présente comme le méchant, explique à l’un des hôtes que c’est parce que c’est moins cher que des circuits qu’ils sont faits de chair et de sang. Leur humanité est ce qui les rend rentables. L’essence de leur existence est ainsi d’exploiter les penchants les plus sombres de l’humanité pour rapporter des bénéfices. Ils existent dès lors pour être tués, violés, exploités… Les robots sont les instruments du capitalisme, les humains sont aliénés à leurs désirs, Rien de nouveau sous le soleil.

 

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Jean-Michel Con par exemple, il est venu pour faire des plans à 12 et investir dans le parc

 

Les deux séries s’accordent. Dans Real Humans apparaissent aussi bien la prostitution des hubots que la destruction des robots… L’humanité n’est pas particulièrement reluisante. Il existe même un jeu, Hub Battle, dont le but est de subtilement dézinguer des androïdes. Si l’on se souvient du fait que les humains et les robots sont quasiment identiques, comment faire la différence entre un être humain  et une copie quasiment conforme jusqu’aux émotions ?

Finalement, la série nous montre avant tout que les humains manquent d’empathie. Beaucoup d’entre nous sommes des créatures capricieuses, irresponsables. Westworld dépeint de manière très intéressante ce concept à partir de deux duos de personnages : Logan (Jean-Michel Con) et William (le futur beau-frère de Jean-Michel Con) ainsi que Robert Ford (le fondateur du parc, joué par Anthony Hopkins) et Arnold, son mystérieux co-fondateur mort bien avant le début de la série. Chacun de ces duos sont les deux faces d’une même pièce.

Robert Ford est un homme glaçant, mégalomane, qui répète à loisir qu’il n’a pas créé un parc un thème mais tout un monde. Il considère les machines comme des créatures sans conscience ni volonté. Nous n’entendons parler d’Arnold qu’au passé puisqu’il est décédé dans des circonstances mystérieuses plus de 30 ans avant la série. Nous en avons cependant la description d’un idéaliste excentrique qui tentait de mettre en place une véritable conscience au sein des robots. Un homme qui n’avait pas une opinion de l’humanité très élevée et avait tendance à évoluer dans son monde.

Logan et William sont deux visiteurs. Logan, qui est un personnage détestable parce qu’il en fallait bien un, est un habitué du parc. C’est un héritier (par la moustache de Bourdieu !) arrogant et sûr de lui. Profondément hédoniste, il considère donc les machines comme ses jouets et n’a aucune considération pour elles. William est au contraire un nouveau venu. Il travaille dans l’entreprise de Logan, va épouser sa sœur, mais ne peut s’empêcher de développer une réelle empathie envers les robots. Il porte évidemment un chapeau blanc pour se démarquer de Logan.

Ces quatre personnages présentent deux visions de l’androïde, deux philosophies différentes, deux sensibilités par rapport à un même phénomène. Arnold et Robert offrent le point de vue des créateurs, Logan et William le point de vue des utilisateurs, voire des consommateurs.

Dans Real Humans, cette dichotomie est également présente car tout n’est pas rose quand les robots entrent dans nos vies. Le titre de la série est en effet le nom d’un groupe d’activistes qui s’oppose à la mise en place des hubots, notamment car ils apportent des bouleversements à la société qu’ils ne jugent pas acceptables. J’ai repéré deux gros changements particulièrement mis en avant. Ces modifications se cristallisent autour du très bon personnage de Roger ainsi que de son beau-fils Kevin.

 

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Laisse parler ton coeur, Roger

 

Roger est un type d’une cinquantaine d’années qui travaille à l’usine comme contremaître. Il vit avec sa femme et le fils de cette dernière, Kevin. Seulement il commence à remarquer que les hubots prennent de plus en plus de place dans sa vie. Dans un premier temps, une bonne partie de ses collègues sont remplacés par des robots, ce qui tend à l’isoler. Ensuite, sa femme possède son propre hubot personnel. Il s’agit d’une sorte de coach. Elle parle de moins en moins à son mari pour se consacrer à son robot. Délaissé, déclassé et perdu dans un monde qui avance trop vite et met inévitablement sur le banc de touche, Roger devient au passage de plus en plus violent avec les androïdes. Très proche de son beau-fils, ce dernier développe les mêmes vues.

Ils finissent par rejoindre les Real Humans. Ces derniers pensent notamment que les hubots volent le travail des humains, un problème qui commence déjà à prendre de l’importance dès maintenant. Nous voyons également une forme d’isolation sociale, de sentiments de solitude qui naissent de l’existence des machines. L’arrivée de machines aussi perfectionnées dans notre quotidien n’est pas quelque chose de simple et peut avoir tendance à accentuer les fractures sociales.

Les robots finissent toujours par développer une forme de conscience indépendante

 

Westworld tout comme Real Humans suivent la route tracée par leurs prédécesseurs de science-fiction et anticipation en matière de robots : les machines finissent toujours par s’affranchir de leur code. Il est ainsi très curieux de voir qu’elles suivent toutes les deux un parti pris semblable.

Dans Real Humans, il existe un groupe de Hubots rebelles appelé les enfants de David. Leur créateur, David, a créé un code capable de libérer les robots de leur condition d’esclave. Ces derniers sont capables d’avoir des sentiments, peuvent avoir des projets. Dans le petit groupe, Niska, la chef, et Bea, qui se fait passer pour une humaine, souhaitent utiliser le code pour libérer l’ensemble des hubots. Les autres membres du groupe suivent des trajectoires différentes au fil des deux saisons mais tout aussi significatives. Il y a ainsi Flash, hubot blonde qui ressemble de manière troublante à une poupée Barbie. Petit à petit, Flash commence à vouloir devenir plus qu’un simple objet, elle veut devenir possédant et non plus possédée. J’appelle cela le syndrome de Pinocchio.

Elle développe des rêves extrêmement matérialistes et intériorise les désirs spécifiques d’idéal de vie tel que défini par la société. Flash rêve d’avoir une grande maison, une belle piscine, un  mari et d’être mère. Le bonheur qu’elle recherche est cliché à souhait, mais il montre qu’elle commence à devenir un individu qui affirme ses désirs. Son frère Gordon (je ne plaisante pas, ils ont osé le jeu de mot) manifeste une liberté, une forme d’humanité, plus spirituelle. Il est fortement attiré par la religion, une autre dimension qu’une simple machine ne pourrait aborder en temps normal puisque la foi est une expérience très humaine.

 

robot science-fiction anticipation sociologie des séries

Même les robots ont le droit à leur conte de fée

 

Dans Westworld, il n’existe officiellement pas de robots libre. Comme nous l’avons vu plus tôt, Arnold, le co-créateur, avait toutefois pour ambition de créer une conscience au sein de ses créations. Au fil de la série, certains hôtes observent des comportements inhabituels. Ils sortent de ce qu’on appelle leurs scénarios, la voie qui leur a été tracée pour poursuivre un but, un appel, qui demeure inconnu du reste des protagonistes. Après tout, le mystérieux Arnold aurait-il apprécié de voir ses créations transformées en jouets pour ces humains qu’il ne semblait pas tenir en grande estime ?

Les deux séries ont ainsi en commun un élément intéressant. Les démiurges David et Arnold sont tous deux morts au moment où commence la série. Tous deux nourrissaient le rêve de machines libres parmi les humains comme sujets à part entière. Leurs héritages semblent cependant en perdition. Si nous ne connaissons pas encore le dénouement de Westworld, Real Humans se termine sur une note d’une grande symbolique que je ne spoilerai pas.

 

Conclusion : les robots, miroirs de la complexité de notre société et de notre état

 

Pour clore ces (très) longues réflexions, les deux séries parviennent à nous offrir une révision moderne et passionnante du robot. Elles nous plongent dans un futur de plus en plus proche en nous permettant de nous poser les questions éthiques, sociales, politique et philosophiques qu’impliquent le changement technologique. La question du sujet est ainsi centrale, prouvant que la définition de l’humain est plus complexe que ce que l’on imagine, puisque notre état est pris pour acquis. Sommes-nous notre corps, notre âme, nos émotions ? Un enchevêtrement complexe et indéfinissable de ces composantes ? Suffit-il au robot de reproduire ces composantes pour être « humain » ? Autant de questions auxquelles les séries apportent une ébauche de réponse.

Ni trop sombres, ni trop lumineuses, elles laissent cependant le mot de la fin au spectateur pour se forger sa propre opinion. Et vous, vous pensez que les robots peuvent s’implémenter dans notre société sans dommages ?

 


2 commentaires

Maud · 9 novembre 2016 à 13 h 44 min

Hello à toi ! Ton article est super intéressant, (et ton blog est super cool ahah) j’avais adhéré à fond à Real Humans, et Westworld est super prenante, justement pour toutes les questions sociétales qu’elles posent.
En tout cas, hâte de lire tes futurs articles 🙂
Hésite pas à faire un tour chez moi, je parle de livre, de séries, questions société etc… 🙂 peut être que ça pourrait t’intéresser 🙂
https://chroniquesbleues.wordpress.com/

A bientot !

    Camille Barbry · 9 novembre 2016 à 18 h 49 min

    Hello Maud ! Merci pour tes encouragements, ça me fait très plaisir ! J’ai fait un tour sur ton blog et il semblerait que nous ayons des goûts très semblables !

    Au plaisir de te lire 😉

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