L’alchimie de la pierre d’Ekaterina Sedia séduit d’abord par sa superbe couverture. Mais il est difficile de ne pas avoir d’intérêt pour son histoire steampunk et à la promesse d’une ville étrange secouée par de multiples conflits. Et bien sûr, je suis toujours curieuse de découvrir de la SFFF issue d’autres pays que la France ou des territoires anglo-saxons.
Synopsis de L’alchimie de la pierre
Soit une ville immense, sombre et secrète, fondée par un peuple minéral plus secret encore — les gargouilles. De mémoire d’homme, les guildes rivales des Alchimistes et des Mécaniciens s’y livrent une lutte d’influence acharnée. Or les Mécaniciens semblent enfin en passe de l’emporter, prêts à imposer sur la cité un ordre nouveau, brutal.
Automate douée de conscience, unique en son genre, Mattie est la création d’un Mécanicien ambigu. Bien qu’émancipée, elle peine à se libérer de l’emprise de son ancien maître, une ombre qui ne l’a pas empêchée, malgré tout, d’embrasser la carrière d’alchimiste. Les gargouilles l’ont chargée d’une mission cruciale : trouver un remède au mal qui les frappe, une inexorable pétrification. Mission que compliquent des événements tragiques : des attentats frappent la ville, tandis que dans ses entrailles couvent les ferments de la révolution…
Un roman steampunk au concept prometteur
Un récit sombre et poétique
Ekaterina Sedia nous entraine dans une ville de Pierre dont les gargouilles, qui l’ont bâtie, commencent à disparaître. Deux grands ordres s’opposent pour le contrôle. Les mécaniciens, qui construisent des automates et des machines, et les alchimistes qui maîtrisent l’art des potions. Mattie, le personnage principal, est une automate affranchie devenue Alchimiste, synthèse des deux mondes. Le récit mêle parfaitement le steampunk, avec ses machines étranges qui cliquettent dans les rues. L’autrice a un certain talent pour décrire l’étrange, notamment quand il s’agit des automates ou des effets des potions. Il y a également des éléments créatifs et originaux, comme cet homme qui contient des âmes, sorte de médium.
C’est notamment grâce à la qualité de l’écriture que l’on ressent une certaine poésie qui se dégage de l’œuvre. L’autrice décrit très bien la façon dont la ville est animée et en un personnage à part entière. Le roman tire son inspiration du XIXe siècle. On sent bien le tiraillement entre plusieurs époques, mais aussi la cruauté du passage du temps. Cette idée passe dans la destruction des gargouilles, qui marque le passage d’un temps à un autre avec le renoncement que cela implique. Le récit est donc emprunt d’une certaine forme de mélancolie, qui transparaît dans l’architecture d’une ville de pierre habitée de machines.
Une histoire de pouvoir et d’emprise
L’autrice traite cependant de thèmes très contemporains. Dans un premier temps, la ville vit une période de transition majeure qui implique des rapports sociaux conflictuels. Le contexte rappelle l’époque industrielle, mais aussi la Révolution Russe. En effet, le pouvoir en place néglige des populations laborieuses qui sont sur le point de se soulever. Quitte à faire appel à la violence pour faire entendre la voix. Une partie de la population, les Orientaux, sont des étrangers discriminés accusés de nombreux maux sans preuve.
L’autre grand sujet prend des accents féministes, notamment via Mattie. Il s’agit d’une automate en grande partie affranchie de son créateur. Ce dernier, Loharri, est un noble ambigu qui maintient son emprise en conservant la clé capable de la remonter. Mattie est est un personnage sexualisé à son grand dam, car elle a été construite de manière à être séduisante. Elle refuse par ailleurs de porter les masques maquillés conçus par Loharri et préfère la simplicité. Toute la question est de savoir pourquoi il refuse qu’elle quitte définitivement son giron alors qu’elle est capable de mener une vie seule ? C’est une question de domination qui est traitée avec finesse et ambiguïté.
L’alchimie de la pierre aurait cependant gagner à être plus abouti
Malgré les points précédents, j’ai trouvé que parfois le récit manquait de précision et laissait des questions sans réponse. C’est notamment le cas d’un rêve que fait Mattie et sur lequel nous n’avons finalement que peu de réponses. D’autres éléments contextuels restent très vagues. Un ordre appelé les moines de pierre est évoqué mais jamais approfondi. On ne sait pas vraiment comment Mattie est parvenue à avoir une telle conscience d’elle-même ou quels sont les détails de sa construction. Face à tous ces éléments mal définis, on a parfois l’impression que le roman ne réalise pas pleinement son potentiel.
D’autant plus que bien que le livre soit assez court, son aspect contemplatif peut apporter des lenteurs. Il y a des arcs narratifs que j’ai trouvés assez peu captivants, comme cette histoire de terrorisme qui se traîne en avançant bien trop lentement et qui en plus met de côté des histoires qui auraient plus intéressantes à développer comme l’origine de Mattie ou sa relation trouble avec son créateur, ou les Gargouilles elles-mêmes.
Un roman poétique et intrigant mais qui manque de finitions
L’alchimie de la pierre est un joli roman ! L’autrice nous entraîne dans une histoire mystérieuse où elle a pris soin d’instiller une ambiance insolite et des éléments sombres. Elle traite notamment de problématiques très contemporaines, où les conflits sociaux font rage. Il y a aussi une place particulière accordée à la difficulté d’être une femme, ce qui est représentée par Mattie, automate qui tente de gagner son indépendance mais demeure sous la coupe d’un créateur énigmatique. Malgré cela, le récit un peu lent et quelques éléments de scénario manquent un peu de définition pour que l’univers soit pleinement immersif. C’est cependant un roman sympathique et singulier dans le paysage de la SFFF actuelle.
Note : 14/20
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