Grands espaces, drames humains, Amérique sauvage… Ce roman de Ron Rash me faisait très envie, surtout en ce moment. Serena offre une histoire originale dans un univers aussi beau qu’il est impitoyable. Hop, en visite pour les Etats-Unis.
Synopsis de Serena
Situé dans les Smoky Mountains de Caroline du Nord, Serena allie, selon l’auteur, « drame élisabéthain, problèmes environnementaux et richesse de la langue ».
L’héroïne, sorte de Lady Macbeth des années 1930, est l’épouse de George Pemberton, riche et puissant exploitant forestier. Ces deux-là sont des prédateurs, prêts à tout pour faire fructifier leur entreprise dont l’objectif est de couper tous les arbres à portée de leur main. Une ambition que vient menacer le projet d’aménagement d’un parc national, pour lequel l’État convoite leurs terres. Pemberton met sa fortune à contribution pour soudoyer tous les banquiers et politiciens qu’il faut, et Serena n’hésite pas à manier fusil et couteau pour éliminer les obstacles humains.
Belle, ambitieuse et intrépide, Serena fascine son mari et ses employés, pour lesquels elle n’éprouve aucune compassion. Et pourtant chaque jour apporte son lot de blessés, voire de morts, tant le métier de bûcheron est dangereux en soi et la nature alentour hostile, quoique magnifique.
Entre vengeance, soif de richesse et écologie
Du nature writing immersif
Serena est un représentant de ce genre très populaire aux États-Unis. Le cadre est parfait pour ce type d’histoire. Nous sommes dans les années 30, une grave crise financière touche le pays mais semble bien loin de ces gens qui vivent dans les montagnes. Malgré le chemin de fer, les populations locales vivent isolées au milieu d’immenses forêts inviolées par les hommes. Un business juteux pour les Pemberton, un couple de vautours épatés par l’argent.
Les descriptions de la nature sont souvent sublimes. Il y a bien sûr la célébration d’une nature nourricière, qui permet à ceux qui la connaissent de survivre. C’est le cas des passages avec Rachel, la mère de l’enfant naturel de George Pemberton, une fille des montagnes capable de s’en tirer seule grâce à son abnégation. Mais Rob Rash n’hésite pas à montrer l’aspect plus impitoyable des forêts, notamment envers les bûcherons, qui peuvent être tués par des serpents, des chutes et autres accidents dramatiques.
Le récit est régulièrement traversé par des réflexions autour du cycle naturel et de la façon dont l’homme le détraque. C’est notamment le cas lorsque Serena chasse à l’aide d’un rapace, provoquant la multiplication des souris et des rats suite à la disparition de leurs prédateurs naturels. L’auteur a également une façon très réaliste de décrire le langage des populations de l’époque.
La critique d’un capitalisme cruel et insensé
Les époux Pemberton n’ont qu’un but : s’enrichir en exploitant les terres vierges des Smoky Moutains. Mais un grain de sable s’insère dans le rouage de leur plan. L’Etat souhaite acheter leurs terres afin d’en faire un parc national. Une grande partie du livre sera donc un bras de fer entre les différentes parties prenantes des projets. Tous les coups sont permis, trahisons, manipulation, voire faire couler le sang.
C’est surtout la spécialité de Serena, qui personnifie ce capitalisme. Serena est une femme séduisante au passé mystérieux, capable de tenir tête au plus solide des bûcherons, avec une connaissance très fine du commerce du bois. Mais elle est surtout impitoyable, souvent brutale et n’hésite pas à recourir à la violence pour obtenir ce qu’elle veut. A vrai dire, elle est tellement habituée à obtenir ce qu’elle veut qu’elle tentera de tuer la seule personne capable de donner ce qu’elle ne peut pas : Rachel qui a donné la vie. La stérilité de Serena est sûrement un symbole de ce capitalisme incapable de donner naissance mais simplement de détruire.
Des personnages variés mais un peu unilatéraux
Mon seul regret a été que les personnages n’étaient pas forcément pas très approfondis dans le sens où ils n’évoluent qu’assez peu, à part peut être Georges Pemberton. Serena est pourtant un personnage intéressant : c’est une femme indépendante qui mène son affaire d’une main de fer. Mais elle a parfois les atours clichés de la femme fatale avec son passé mystérieux jamais vraiment éclairé et le fait que l’on ne voit jamais réellement ses failles. Du coup, elle ne reste qu’une incarnation lointaine. Mais peut-être était-ce le but ?
J’ai en revanche beaucoup apprécié le personnage de Rachel. Une mère célibataire mais déterminée, généreuse et prête à tout pour son fils. Il y a quelque chose d’infiniment cruel dans son histoire, d’autant que les passages sur son père sont très touchants et regorgent d’humanité. Le reste des personnages est sympathique mais n’est pas forcément marquant car un peu fade.
Une histoire prenante et dépaysante
Avec une écriture rugueuse, Ron Rash nous entraîne dans des années 30 qui subissent la crise. Dans une nature aussi belle que dangereuse, le capitalisme sans foi ni loi s’empare des richesses naturelles. Il est représenté par la fascinante Serena, une femme charismatique et autoritaire, dont le génie commercial se dispute à son caractère impitoyable, voire cruel par moments. Une lecture dont j’ai apprécié le caractère immersif et ambivalent.
Note : 16/20
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