Le mois de novembre se termine ! Un mois compliqué psychologiquement, durant lequel j’ai enchaîné des lectures complexes et longues, mais aussi très enrichissantes : racisme, philosophie des lumières, sociétés utopiques et étranges…

Beloved de Toni Morrison

Point lecture - Beloved de Toni Morrison

Vers 1870, aux États-Unis, près de Cincinnati dans l’Ohio, le petit bourg de Bluestone Road, dresse ses fébriles demeures.

L’histoire des lieux se lie au fleuve qui marquait jadis pour les esclaves en fuite la frontière où commençait la liberté. Dans l’une des maisons, quelques phénomènes étranges bouleversent la tranquillité locale : les meubles volent et les miroirs se brisent, tandis que des biscuits secs écrasés s’alignent contre une porte, des gâteaux sortent du four avec l’empreinte inquiétante d’une petite main de bébé.

Sethe, la maîtresse de maison est une ancienne esclave. Dix-huit ans auparavant, dans un acte de violence et d’amour maternel, elle a égorgé son enfant pour lui épargner d’être asservi. Depuis, Sethe et ses autres enfants n’ont jamais cessé d’être hantés par la petite fille. L’arrivée d’une inconnue, Beloved, va donner à cette mère hors-la-loi, rongée par le spectre d’un infanticide tragique, l’occasion d’exorciser son passé.

Beloved fait partie de ses romans qui marquent mais dont il est difficile de dire qu’on l’a aimé. Ses thèmes difficiles, sa dureté dans les descriptions, sa narration complexe comme son écriture élégante en font une œuvre indispensable. La portée tragique du roman, à travers son aspect familial tout comme comme son aspect global, est parfaitement maîtrisée et nous offre un drame sombre et gothique qui touche aux tourments les plus profonds de l’âme humaine. C’est un livre sur le poids de la mémoire, et de la façon dont le passé vient hanter le présent, comme s’il ne disparaissait pas totalement.

Trop semblable à l’éclair d’Ada Palmer

Point lecture - Trop semblable à l'eclair d'Ada Palmer

Année 2454. Trois siècles après des évènements meurtriers ayant remodelé la société, les concepts d’État-nation et de religion organisée ont disparu. Dix milliards d’êtres humains se répartissent ainsi par affinités, au sein de sept Ruches aux ambitions distinctes. Paix, loisirs, prospérité et abondance définissent ce XXVe siècle radieux aux atours d’utopie. Qui repose toutefois sur un équilibre fragile. Et Mycroft Canner le sait mieux que personne…

Coupable de crimes atroces, condamné à une servitude perpétuelle mais confident des puissants, il lui faut enquêter sur le vol d’un document crucial : la liste des dix principaux influenceurs mondiaux, dont la publication annuelle ajuste les rapports de force entre les Ruches. Surtout, Mycroft protège un secret propre à tout ébranler : un garçonnet aux pouvoirs uniques, quasi divins. Or, dans un monde ayant banni l’idée même de Dieu, comment accepter la survenue d’un miracle ?

La lecture s’est révélée dense et assez laborieuse. C’est pourtant le genre de concept qui me botte, entre transhumanisme, philosophie et manigances politiques. Le récit a le mérite de nous plonger dans une société très bien structurée qui nous semble très éloignée de ce que nous connaissons. Des codes aux modes d’organisations politiques, le dépaysement est total. Cependant, j’ai trouvé le scénario peu accrocheur tant la complexité du monde a nécessité une exposition longue et aime à disserter.

Pourtant, il y a un beau potentiel car l’autrice joue bien avec les faux-semblants, mais reste qu’au bout des quelques 600 pages, je n’ai pas eu l’impression d’être bien avancée depuis le début du roman. Je lirais sûrement la suite ceci dit, car je suis curieuse de connaître le fin mot de l’histoire et que je pense qu’il y a des chances pour que le second tome de la saga réalise pleinement le potentiel de l’œuvre.

Le Vivant d’Anna Starobinets

Point lecture - Le vivant d'Anna Starobinets

Dans un futur lointain, les humains sont connectés via des implants à un réseau commun. Ensemble, ils forment un organisme unique, le « Vivant ». La mort n’y existe pas : dès qu’un individu est « mis sur pause », son code génétique renaît dans un nouveau corps. Le nombre d’humains est constant – trois milliards.

Le Vivant vacille sur ses bases lorsque l’impensable survient : un homme naît. Il est sans code, sans patrimoine, il n’est la réincarnation de personne. On l’appelle Zéro. Placé sous étroite surveillance, il devra trouver des réponses sur son identité dans un monde réputé parfait…

Inattendu et déconcertant, Le Vivant séduit par la singularité de l’univers qu’il propose. Poussant la réflexion dur l’individualité et la nécessité de la conformité, le récit est très cru quand il parle de marginalité. L’autrice construit un monde aux fonctionnements qui servent parfaitement son discours, sur une humanité conquise par le transhumanisme au point de devenir une conscience unique, stable et interconnectée. La coercition est douloureuse autant qu’elle est subtile. Le récit est cependant déstabilisant de par des choix narratifs ainsi qu’une écriture qui se veut opaque et métaphorique, nuisant à la compréhension et pouvant perdre le lecteur. L’apothéose étant une fin franchement absconse qui laisse avec plus de questions que de réponses.

Ne dis rien de Patrick Radden Keefe

Point lecture - Ne dis rien de Patrick Radden Keefe

1972, Belfast, quartier catholique. Par une sombre nuit de décembre, une mère de famille est enlevée sous les yeux de ses dix enfants. Ils ne la reverront jamais… Pourquoi une femme apparemment sans histoires s’est-elle retrouvée la cible de l’IRA ? Était-elle réellement une moucharde ? Et pourquoi, alors que tout le monde connaissait l’identité des agresseurs, personne n’a rien dit ?

En s’intéressant à l’” affaire Jean McConville “, Patrick Radden Keefe, journaliste au New Yorker, revisite toute l’histoire du conflit nord-irlandais. Des manifestations du début des années 1960 jusqu’à la vague d’attentats qui a terrorisé tout le Royaume-Uni, en passant par les grèves de la faim de Bobby Sands et des Blanket men, il en révèle les derniers secrets, les zones d’ombre et, surtout, le prix à payer pour les individus.

Si vous voulez en savoir plus sur les événements d’Irlande du Nord, “Ne dis rien” est indispensable. L’enquête minutieuse de Patrick Radden Keefe permet de saisir les enjeux d’une période complexe qui n’a pas encore révélé tous ces secrets. Les vies mouvementées évoquées posent la question de la violence dans l’engagement politique, de sa légitimité mais aussi de la puissance des vocations. Enfin, l’ensemble permet également de noter l’importance de la mémoire mais aussi de mettre fin à la culture du secret.

Quelles sont vos lectures préférées du mois de novembre ?

Catégories : Points lectures

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