Etonnant ! La peau froide fait partie de ces romans qui nous convainquent qu’il y a encore tant d’histoires à raconter. Albert Sánchez Piñol nous emmène dans une île perdue et loin de tout, en compagnie de deux hommes qui doivent cohabiter malgré leurs visions de la vie contraire.
Synopsis de La peau froide
Sur un îlot perdu de l’Atlantique sud, deux hommes barricadés dans un phare repoussent les assauts de créatures à la peau froide. Ils sont frères par la seule force de la mitraille, tant l’extravagante culture humaniste de l’un le dispute au pragmatisme obtus de l’autre. Mais une sirène aux yeux d’opale ébranle leur solidarité belliqueuse.
Douloureuse étrangeté
L’enfer est une île solitaire
L’auteur nous livre un roman étrange et atypique, à la fois fantastique et très philosophique. Le narrateur est un Irlandais qui a une vision très humaniste du monde, à cause de son passé de rebelle face à l’occupation anglaise de sa petite île. Batis Caffo est l’autre occupant des lieux. Supposément climatologue, probablement autrichien, silencieux et pragmatique, la cohabitation avec le narrateur s’annonce compliquée. On se retrouve face à la même constatation que Sartre : « L’enfer, c’est les autres ».
Les deux hommes subissent les attaques de créatures marines mystérieuses et méconnues. Ils s’enferment chaque nuit dans le phare comme dans un bunker, vivant dans une angoisse constante. L’opposition entre les deux hommes est fascinante. L’Irlandais répugne à la violence, Caffo s’exalte lors des batailles qui lui donnent une raison de vivre.
Une mise en abîme sur notre incompréhension des autres comme de nous-même
La question de l’altérité est abordée avec une certaine finesse mais aussi une forme de brutalité animale. Caffo a adopté l’une des créatures, une femelle, qui lui sert à la fois d’esclave et concubine. Appelée « la mascotte », elle est traitée comme un vulgaire animal, transportant le bois et servant à la copulation. Il y a quelque de chose de révoltant dans la façon dont elle est traitée, mais elle démontre bien le processus de réification opérée dans certains cas, où les personnes sont déshumanisées au maximum.
Le roman illustre beaucoup la façon dont notre passé et nos expériences forgent notre caractère et notre personnalité. Le personnage principal évolue tout le long de l’histoire et c’est assez réussi, même si la fin peut sembler un peu abrupte. On observe une forme de destinée cyclique qui offre une conclusion assez bien trouvée, même si on pourra la trouver un peu étrange. Au fond, Caffo nous met face à l’absurdité de l’existence, où nous nous créons sans cesse une forme de divertissement pascalien pour trouver une raison de plus à notre existence. Même si ces mêmes raisons semblent décalées à des observateurs externes.
Le tout est porté par une écriture qui va droit au but. L’histoire est racontée sous la forme d’un journal, ce qui favorise l’immersion dans ce huis-clos délicatement teinté de surnaturel. Malgré quelques moments de flottement, l’action est rondement menée et je ne pouvais pas vraiment lâcher le roman sans avoir le mot de la fin.
Un roman qui laisse des traces
Mais je ne vais pas m’étendre sur le sujet, je risquerais de spoiler ! Sachez simplement que La peau froide est une lecture déstabilisante qui nous emmène dans les tréfonds étranges de l’âme humaine. Il nous met face à la difficulté de comprendre l’Autre, qu’il soit une créature mystérieuse venue des mers, ou notre voisin de pallier.
Note : 17/20
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6 commentaires
Rhiannon Telvanni · 27 juin 2019 à 12 h 51 min
Je l’ai lu il y a quelques temps, en effet c’était vraiment perturbant. Je ne saurais même pas décrire l’histoire en soi, juste le sentiment de malaise qui persiste tout du long….
La Geekosophe · 27 juin 2019 à 23 h 47 min
Je lui ai trouvé un air particulièrement malsain parfois, notamment dans la relation entre certains personnages… C’est vraiment déstabilisant :/
Alberte Bly · 30 juin 2019 à 9 h 02 min
Tu m’as donné très très très envie de découvrir ce roman ! Un livre de plus dans ma wish-list !! ^^
La Geekosophe · 30 juin 2019 à 9 h 18 min
C’est un bon cru si tu cherches de l’originalité 😉
Flora · 29 octobre 2019 à 21 h 57 min
Je découvre ce blog avec bcp de plaisir merci ! je suis une grande lectrice et passionnée de SF et de dystopies… j’ai lu beaucoup d’incontournables, je parcours le web en quête de nouvelles idées de lectures car, même quand je pense avoir fait le tour et ne tomber que sur des déceptions, il y a toujours une pépite qui apparaît… Je suis donc tombée sur la Peau froide il y a plusieurs mois… Je l’ai lue et ça me laisse une impression étrange. J’en avais clairement marre des dystopies Young Adult qui ne font (souvent) que répéter inlassablement les mêmes thèmes. Cette histoire ci est en effet assez déroutante, une histoire sans beaucoup d’actions, et pourtant pas du style contemplatif mais focalisée sur une multitude de petits faits, et avec très peu de personnages. C’est bien écrit, avec une certaine distance. A recommander !
La Geekosophe · 30 octobre 2019 à 13 h 50 min
C’est clair que quand on cherche une expérience troublante loin des lectures YA mais toujours dans l’imaginaire, ce roman est parfait ! J’aimerais beaucoup lire d’autres romans de lui à l’avenir 🙂