Joyce Carol Oates est une immense autrice américaine aux publications multiplement récompensées. Je me suis cependant lancée dans une œuvre plus confidentielle de l’autrice avec Le Petit Paradis, qui mêle dystopie et voyage dans le temps.
Synopsis de « Le Petit Paradis »
Adriane Strohl, une adolescente imprudente et idéaliste, vit dans un futur proche : une Amérique totalitaire en 2039 contrôlée à l’excès par la « Véritable Démocratie », où il est interdit à quiconque de sortir de la moyenne. Alors qu’elle est nommée major de sa promotion de terminale, elle commet l’erreur de vouloir briller dans son discours de fin d’études, et se voit condamnée à être télétransportée dans une bourgade rurale d’Amérique du Nord appelée Wainscotia pour y effectuer ses études supérieures… quatre-vingts ans plus tôt.
Forcée d’adopter une nouvelle identité et constamment sous surveillance, Adriane – alias Mary Ellen Enright – découvre avec stupeur l’Amérique surannée de 1959. Désireuse de purger sa peine de manière exemplaire et de rentrer chez elle au terme des quatre ans fixés, Adriane s’immerge dans le travail, notamment son cours de psychologie. Mais elle ne tarde pas à tomber amoureuse de son professeur, Ira Wolfman, un exilé du futur comme elle qui tentera de la convaincre de s’échapper avec lui…
Un roman trop approximatif malgré une promesse alléchante
Une dystopie qui repose sur des bases mal définies
Les premières pages étaient pourtant immersives et éveillaient l’intérêt. Nous sommes dans des États-Unis dans le futur, appelés EAN-23, une société où la médiocrité est le mot d’ordre. Sortir de la moyenne est fortement déconseillé, voire puni. Une situation compliquée pour les élèves curieux et doués comme Adriane. J’ai dans un premier temps trouvé que ce personnage était sympathique à suivre : elle se pose beaucoup de questions mais sans forcément s’opposer activement au régime mis en place. Elle sent que quelque chose se passe mal et fait l’erreur de vouloir briller à son discours de fin d’étude.
Cette première partie montrait une bonne maîtrise des codes de la dystopie. L’univers de Joyce Carol Oates est très froid et suit sa propre logique qui semble particulièrement insensée pour nous, lecteurs. Le monde d’Adriane est extrêmement surveillé, jusqu’aux caméras de surveillance pendant les examens. Certaines personnes disparaissent mystérieusement sans que l’on en connaisse parfois la raison. Les autorités sont très coercitives et le droit individuel n’existe plus, sacrifié sur l’autel d’une égalité totale pour les habitants. Le président élu est systématiquement le plus riche. Le tout aurait pu donner naissance à une critique acerbe du monde contemporain, mais le propos du roman est resté confus le long de la lecture.
Beaucoup de détails pour quoi ?
Le roman aborde tout de même beaucoup d’éléments mais qui finissent par tomber à plat. Dans la partie dystopique, l’autrice exploite beaucoup d’acronymes (IE pour individus exilés…) qui sont difficiles à assimiler. Si cela aurait pu être une référence aux noms impossibles donnés dans les administrations pour évoquer des atténuations qui finissent par vider de leur sens les expressions réelles, cet effet de manche n’est jamais exploité jusqu’au bout, tenant finalement plus du cosmétique que d’une réflexion poussée.
La même chose est observable par le biais du behaviorisme, un courant de psychologie comportementale très présent dans les milieux universitaires dans les années 50 et 60. Beaucoup de références sont faites à Skinner et à ses études. Adriane/Mary Ellen se lance elle-même dans de longues réflexions sur la façon dont un être vivant est sensible aux stimuli et peut être manipulés de cette manière. Si on comprend qu’il s’agit d’une métaphore sur le régime dictatorial des EAN, l’ensemble est inabouti. C’est dommage, car le roman bénéficie d’une grande clarté et d’une grande précision (c’est mon seul roman de Joyce Carol Oates, mais je doute que ses qualités d’écriture puissent être remises en cause) dans l’exposition de théories parfois très complexes. Et c’est un plaisir à lire ! Mais une fois de plus, l’objectif m’a laissée perplexe.
Un rythme mou
A partir du moment où Adriane voyage dans le temps, l’histoire pêche par une forme de lenteur. Le plus étrange est que je comprends l’intention mais que cette intention ne s’est pas vraiment traduite de la façon la plus positive au moment de la lecture. Adriane devient Mary-Ellen, déprimée et solitaire, elle s’enfonce dans ses études. Le roman devient une suite de monologues et réflexions sur sa vie et sur les raisons qui l’ont menées à être exilée pendant 4 ans. Il y a beaucoup de moments d’inertie où elle se plaint de sa situation et manifeste son profond désespoir, ce qui la rend à la longue plutôt fade et il est devenu vraiment difficile d’être captivée par un personnage aussi passif.
L’histoire d’amour finit par prendre également beaucoup de place sans apporter grand chose. Ira Wolfman n’a pas forcément une personnalité captivante non plus. Il est froid, souvent arrogant et désagréable. On sent un aspect factice dans la relation qui ne la rend pas attachante. Du coup les histoires des deux personnages principaux ne donnent pas envie d’être suivie. Ces parties occultent totalement les parties dystopiques qui finissent par quasiment ne plus apparaître. Une fois de plus, l’idée n’était pas assez aboutie et laisse un goût d’inachevé.
Le Petit Paradis ne réalise pas tout son potentiel
C’est dommage ! La lecture partait sur des fondements intéressants. Le monde dystopique et futuriste a des éléments bien pensés. L’écriture est très agréable et vraiment fluide. Mais l’histoire manque d’aboutissement. On a l’impression que l’autrice esquisse ses idées sans forcément aller jusqu’au bout. Par conséquent, on ne s’attache pas aux personnages, globalement froids et égocentrés, et à cette histoire d’amour trop factice pour qu’on y croit.
Note : 12/20
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