Cité à de multiples reprises comme l’une des sorties les plus marquantes de 2020, Le livre de M de Peng Shepherd assume son côté OVNI littéraire. Ce qui en fait, paradoxalement, un roman compliqué à commenter et à classer. Il a cependant été très apprécié de nombreux lecteurs, certains de mes camarades blogueurs n’hésitant pas à le placer parmi les futurs classiques du genre. Pas mal pour une première, non ? Alors autant vous dire que je remercie chaleureusement Albin Michel Imaginaire de me l’avoir proposé en service presse.
Cette lecture entre dans le défi Cortex de Lune !
Synopsis du Livre de M
Que seriez-vous prêt à sacrifier pour vous souvenir ?
Un jour, en Inde, un homme perd son ombre – un phénomène que la science échoue à expliquer. Il est le premier, mais bientôt on observe des milliers, des millions de cas similaires. Non contentes de perdre leur ombre, les victimes perdent peu à peu leurs souvenirs et peuvent devenir dangereuses.
En se cachant dans un hôtel abandonné au fond des bois, Max et son mari Ory ont échappé à la fin du monde tel qu’ils l’ont connu. Leur nouvelle vie semble presque normale, jusqu’au jour où l’ombre de Max disparaît…
Un premier roman ambitieux
Une fable post-apocalyptique
Le livre de M nous plonge dans un univers post-apo qui oscille entre délicatesse et cruauté. Dans un monde où les gens perdent leurs ombres, ces derniers ont également le pouvoir de modifier la réalité pour l’adapter à leurs souvenirs partiels. Le concept est ainsi nouveau pour un sous-genre, le post-apo, qui compte bien des œuvres marquantes et dont il est parfois difficile de renouveler les codes pour y apporter du neuf. Peng Shepherd y parvient : elle nous offre un livre qui mêle la SF post-apo avec des éléments plus fantasy, ce qui rapproche le récit d’une fable plus qu’une histoire aux ressorts plus traditionnels. C’est apporté dans un premier temps par les sans-ombres, capables de modifier la réalité. Mais c’est aussi très présent car il n’y a pas d’explications précises données aux changements connus par la Terre, hormis quelques échanges sur un phénomène astronomique rarissime.
La disparition des ombres et de la mémoire permet au récit d’aborder des questions sensibles sur la relation entre les souvenirs et son identité, et de savoir ce que l’on est prêt à sacrifier pour retrouver ses proches et de souvenir de sa vie. Le récit évoque ainsi des légendes qui apportent un éclairage différent à la catastrophe, plus proche de l’ésotérisme qu’autre chose. La première est celle d’une légende indienne. C’est celle de Surya, Dieu du Soleil, et de sa femme qui ne supportait pas de regarder la lumière de son époux en face et a dû se séparer de son ombre pour qu’elle se fasse passer pour elle. Ou Peter Pan, le romans de James M. Barrie, où l’on pense à cette scène où il tente de retrouver son ombre.
Des personnages bien construits
Peng Shepherd présente un certain nombre de personnages pour un casting varié. J’ai en effet plutôt apprécié l’ensemble d’entre eux, en particulier Max et Ce qui Rassemble. La première est une jeune femme qui se rattache au souvenir de son mari pour ne pas perdre la mémoire totalement. Elle s’enfuit avec un groupe de sans-ombres pour atteindre la Nouvelle-Orléans où des rumeurs prétendent que les sans-ombres peuvent guérir. Son point de vue est racontée à travers sa propre voix dans un magnétophone que lui a donné Ory. C’est un moyen narratif bien trouvé qui construit une proximité émotionnelle palpable avec la jeune femme. Celui qui rassemble est un personnage d’une grande originalité. C’est un homme devenu complètement amnésique suite à un accident de voiture, qui est utilisé dans un premier temps en comparaison avec les premiers sans-ombres. Son évolution est particulièrement intéressante.
J’ai en revanche eu un peu plus de mal avec Ory, qui est sans doute plus froid que le reste des personnages. Je l’ai trouvé un peu transparent et sans traits de personnalité dominants, ce qui le rend globalement très générique et difficile à cerner. Sinon, le livre est peuplé d’autres personnages marquants. Naz, le Général, Malik, Vienna… Ils sont tous bien construits, de manière convaincante, et leurs luttes convergentes donnent envie de lire la suite, de voir comment ils vont s’en sortir dans un univers qui se délite.
Des éléments originaux côtoient le plus classique
Si certains sont particulièrement originaux et promettent une plume singulière dans l’imaginaire, Peng Shepherd ne se départit de certains topoï de la littérature post-apo. Cela s’explique notamment car son roman tourne autour des croyances et du mystique. Dans cet esprit, nous retrouvons donc moult cultes. Les premiers sont les Rouges, des sans-ombres qui se peignent de peinture écarlate et qui ont mis la main sur une bibliothèque. Sans trop divulgâcher, ces derniers posent la question de l’attachement. Est-ce que nous aimons toujours les choses que nous aimions une fois que nous les avons oubliés ? Comme s’il existait une seconde mémoire inscrite dans nos veines, qui tenait plus de l’instinct que du rationnel. Le deuxième culte est celui des blancs. C’est un groupe de personnes qui ont toujours leur ombre cette fois, mais dont les objets de vénération sont… particuliers. Dans les deux cas, la nécessité de croire en quelque chose pour survivre est centrale.
Le monde est en partie retourné à la nature. De nombreux sans-ombres, déstabilisés, sont revenus à un état quasi animal. Une fois de plus, la question de la place de la mémoire dans ce qui fait notre humanité est prépondérante. Le livre est également un road-trip. Dans beaucoup de romans post-apos, les survivants sont en mouvement, comme si rester au même endroit représentait un danger. Cette spécificité nous permet également de voir différentes zones et différentes façons de constater comment la catastrophe affecte d’autres parties des Etats-Unis. Cela apporte toutefois quelques longueurs en milieu de récit. En effet, je ne suis pas personnellement fan des passages de roman qui se déroulent pendant un voyage. J’ai toujours l’impression qu’il ne s’y passe pas grand chose.
Le livre de M est à lire pour sa singularité
Le livre de M est un roman véritablement surprenant ! Unique, il construit un univers à la frontière des genres, une œuvre de science-fantasy post-apo profondément mystique et humaine. La sensation à la lecture en est profondément déconcertante. Mais l’autrice construit très bien ses personnages et il est difficile de dire que son œuvre n’est pas maîtrisée ! Elle met en scène une galerie très attachante qui nous pose des questions sur le sens de la mémoire et le rapport entre nos croyances, nos souvenirs et notre identité. Il manque peu de choses pour que ce soit le coup de cœur ! C’est sans doute cette façon de voguer entre les genres pour proposer quelque chose de proche de la fable philosophique qui m’a désarçonnée, moi qui ai lu des romans de SF plutôt ancrés dans le réel et le concret ces derniers temps. Du reste, c’est un très bon roman si vous souhaitez entrer dans l’imaginaire et la science-fiction sans commencer par des sous-genres plus ardus.
Note : 17/20
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3 commentaires
Yuyine · 28 août 2020 à 14 h 49 min
J’ai adoré ce roman pour son originalité justement. Moi qui lit du post-apo à la pelle, y trouver quelque chose de nouveau provoque forcément de l’enthousiasme. Et puis c’est beau.
La Geekosophe · 29 août 2020 à 14 h 13 min
Je lis beaucoup de post-apo également (tmtc) et j’ai trouvé prometteur de voir qu’un genre pourtant codifié pouvait encore être renouvelée
[Chronique] Le Livre de M, de Peng Shepherd – Sometimes a book · 22 décembre 2021 à 7 h 01 min
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