J’avais été bluffé par ma lecture de Say Nothing du même auteur. Alors quand j’ai vu que Patrick Radden Keefe avait sortit un autre livre, j’ai immédiatement regardé. L’empire de la douleur est en plus sur un thème qui me fascine : la crise des opioïdes aux États-Unis et le rôle de la famille Sackler dans ce drame sanitaire d’ampleur massive.

Synopsis de l’Empire de la douleur

Longtemps, la famille Sackler a été saluée pour ses activités philanthropiques. Or ce mécénat colossal servait à masquer son rôle à la tête d’un empire pharmaceutique tentaculaire, responsable de l’un des plus gros scandales sanitaires de l’Histoire : la crise des opioïdes.

Pour comprendre ce désastre, il faut remonter au début du XXe siècle, quand trois frères issus d’une famille juive désargentée de Brooklyn créent une agence de publicité qui va révolutionner le marketing lié à la santé. Leur premier exploit ? Rendre toute la génération d’après-guerre accro au Valium.
Dans les années 1990, les Sackler vont encore plus loin. Surfant sur une nouvelle approche de la prise en charge de la douleur, ils mettent au point l’OxyContin, un « remède miracle » lancé à grand renfort de communication, qui va leur assurer des revenus exceptionnels.
Jusqu’à ce que la vérité éclate : addiction, surdosage, trafic, et une vague d’overdoses sans précédent… Comment, en dépit des alertes répétées des médecins, les Sackler ont-ils pu nier la dangerosité de leur produit ? Comment ont-ils réussi à passer entre les gouttes judiciaires pendant toutes ces années ?

Un travail journalistique approfondi et détaillé

La famille Sackler au peigne fin

Patrick Radden Keefe retrace l’histoire de cette famille de richissimes donateurs, au business aussi juteux que discret. Le journaliste met à jour les contradictions et les paradoxes de personnes cherchant à avoir leurs noms sur les plus grandes galeries des plus grands musées, mais en taisant leurs liens avec les entreprises qu’elles dirigent. Il commence au moment où les Sackler arrivent aux États-Unis, issus d’une famille juive de Galice et de Pologne, après la seconde guerre mondiale. Les trois fils Sackler, Arthur, Mortimer et Raymond, deviennent médecins et parviennent même à changer la façon dont on traite les patients en psychiatrie. Arthur travaille ensuite dans des entreprises de communication spécialisées en pharmaceutiques. Et c’est là que se déroule le drame, autour du mariage désastreux et destructeur entre capitalisme et médecine.

Les Sackler sont très représentatifs de cette évolution de la place du marketing, mais avant tout son instrumentalisation dans la course au profit, dans la société américaine et son invasion dans des domaines d’utilité publique. Les Sackler sont le fruits du rêve américain et représentatifs des mutations de la société. La première génération issue de l’immigration, entrepreneuse et qui porte le poids des espoirs de leurs parents. Les suivantes, héritières, à la fois obsédées par le business familial pour les plus requins ou carrément désintéressés (sauf quand il s’agit de toucher des dividendes pour lancer leurs propres entreprises le tout en voulant être reconnu pour son propre talent, projets étant bien sûr du côté du monde artistique). L’empire de la douleur donne un grand nombre de détails, personnels et professionnels, qui permettent d’avoir un regard approfondi sur la psychologie de la famille et le déroulé des événements.

La morale à l’épreuve

Le livre a nourri ma grande perplexité par rapport à des milieux qui n’avaient aucun problème à développer des produits nocifs tout en se parant de la plus grande des vertus. Patrick Radden Keefe met en avant un élément très américain dans la stratégie de défense lorsque les premières plaintes arrivent : les personnes qui abusent de l’OxyContin sont des toxicos. Le médicament est comme une arme à feu, ce qui est responsable de la mort appuie sur la gâchette. Le responsable est celui qui prend les médicaments. Pourtant, plusieurs rapports pointent les manipulations dans la vente de l’OxyContin. Le médicament ne faisait pas effet aussi longtemps que promis et les doses prescrites étaient hallucinantes. L’accoutumance puis l’addiction étaient une mécanique quasiment inévitable après la prescription. La dissonance cognitive est fascinante et horrible à lire.

D’autant plus, comme dans Say Nothing, l’auteur met en avant des histoires de vie qui permettent de soutenir le propos. Il nous parle par exemple de la célèbre Nan Goldin, qui a souffert d’addiction à l’OxyContin avant de poursuivre les Sackler avec une persévérance remarquable. De même, il isole certains éléments, à première vue anecdotiques, de la vie des membres de la famille pour nous faire comprendre leurs choix et leur mentalité. Mais Purdue Pharma n’est pas seul à la barre des accusés. Le livre pointe également un système de santé injuste ainsi que des organes de vérification qui étaient censés vérifier la fiabilité des antidouleurs et réguler leur mise en vente. Si les Sackler ont grandement participé à créer la crise des opioïdes, c’est tout un système qui a échoué et plongé des milliers de personnes dans la spirale de la dépendance et la toxicomanie. Car dans beaucoup de cas, passer de l’OxyContin à l’héroïne était très rapide et le moyen le plus évident de combler le manque.

L’Empire de la douleur : Une enquête précise et fascinante

Patrick Radden Keefe offre une fois de plus une enquête foisonnante sur une histoire complexe. Si la crise des opioïdes a été mille fois abordées, il choisit de l’analyser à l’angle de l’histoire des Sackler. Une famille discrète sur d’où vient sa quantité astronomique d’argent mais bien plus ouverte à afficher son soutien philanthrope des arts. Comment expliquer une telle dissonance entre leur responsabilité dans la crise des opioïdes et leur volonté de s’éloigner de garder leur nom loin de leur entreprise ? L’auteur construit une suite de portraits de caractère autour de membres clés des Sacklers pour mieux comprendre comment les drames ont pu arriver, mais aussi du système de santé États-uniens et de la place du marketing et de méthodes de ventes agressives. En somme, c’est un roman fascinant qui se lit presque comme un thriller.

Note : 18/20

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Catégories : Chroniques

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