Un roman reçu dans le cadre de la masse critique de Babelio ! J’aime beaucoup les éditions La Volte, qui proposent des romans de l’imaginaire exigeants, souvent par des auteurs qui ont peu de couverture médiatique. Paideia est un premier roman adulte de Claire Garand, qui met en scène ici une science-fiction singulière, entre post-apo et space opera.
Synopsis de Paideia
Paideia : du grec ancien, éducation et instruction de la perfection et de l’excellence visant à former les meilleurs citoyens, à même de créer la cité idéale.
Dix petites filles dans dix stations en orbite autour de la Lune, derniers espoirs de l’humanité morte sur une Terre empoisonnée.
À l’instar d’un classique de la SF spatiale, tout commence comme une renaissance triomphante du projet humain mais au final, rien ne se passe comme prévu.
Parce que l’une d’elles rêve d’arpenter les planètes, qu’elle est le souffre-douleur des autres, et surtout parce qu’elle est moins intelligente (4,2 seulement sur l’échelle de Breuil-Rostocka alors que les autres sont 4,5 ou 4,6). Ainsi, pour se faire accepter de ses condisciples, elle relève un défi stupide et découvre ce qu’on leur cache : leur destin de futures mères de l’humanité, sur la Lune terraformée, où elles passeront toute leur existence.
Maternité et perpétuation de l’humanité
Une protagoniste qui refuse son destin
Claire Garand propose un avenir dans lequel l’humanité a quasiment disparu. L’unique espoir réside dans des fillettes génétiquement modifiées. Bien plus brillantes et résistantes que des humains normaux, elles ont également la possibilité de donner naissance à 5 enfants en même temps. Ces dix gamines ont donc un destin tout tracé sans autre perspective que de pondre la descendance de l’humanité à intervalles réguliers. L’une d’elle le refuse strictement, souhaitant devenir exploratrice de mars. Mais a-t-elle vraiment le choix ? Peut-on être libre quand on est le dernier espoir de l’humanité ? Est-ce de l’égoïsme ou la liberté de choix est-elle un droit inaliénable quel que soit le contexte ? La question est d’autant plus critique que chaque maillon compte quand la fin du monde est proche.
L’autrice déploie également la thématique de la place de l’individu dans le collectif. La déviance de la protagoniste était prévisible. Paideia raconte aussi une histoire de différence et de harcèlement. La jeune fille est constamment violentée par ses camarades car elle est jugée moins intelligente et utile. Peut-on réellement demander à quelqu’un que l’on exclut de la communauté d’y contribuer malgré tout ? C’est d’autant plus difficile que les fillettes ont développé un fort égo nourri de leur statut, de leur intelligence qu’elles savent supérieure et du fait qu’elles soient constamment au centre de toutes les attentions. Nous avions donc le terreau parfait pour faire de notre jeune héroïne une dissidente. De plus, l’éducation dispensée au sein des stations semble fondée sur les capacités intellectuelles, non sur la vie en société, ce qui implique de créer des insuffisances sociales et la volonté de constamment être en compétition.
Fin du monde et technologie
L’avenir présenté par Claire Garand est très sombre. L’humanité a quasiment disparu et les stations spatiales en sont les derniers vestiges. Les humains ont une capacité à s’auto-saboter ahurissante. Les premières tentatives de sauver les populations se sont achevées par des guerres lunaires. Pourtant, les humaines de ce futur ont beaucoup d’outils pour s’en sortir. Génétique, terraformation, robotique, mondes virtuels… Ils auraient pu être les équivalents de divinités, immortelles, solides et perpétuelles. Mais il y a toujours quelque chose de pourri qui semble parasiter les tentatives de sauver l’humanité. La protagoniste a-t-elle finalement tort de vouloir s’arracher à son destin, sauver une fin de race belliqueuse, agonisante et destructrice, même quand ses capacités touchent la puissance absolue ?
Fait d’autant plus troublant, l’éducation promulguée aux futures mères de l’humanité est obsédée par le passé. Les ordinateurs communiquent avec les jeunes filles dans des langues quasiment disparues avant même notre époque comme le Maya. Beaucoup de cours d’histoire sont dispensés et des jeux comme les échecs sont toujours pratiqués. Ces reliques passéistes semblent annoncer des événements condamnés à se répéter, comme si l’humanité n’apprenait jamais totalement de ses erreurs et tentaient de se raccrocher à de vieux totems qu’elle a elle-même condamnés. Cela renforce le décalage de la protagoniste, qui s’affirme comme un personnalité avide de nouveautés et de découvertes.
Narration en vase clos
Le roman est écrit du point de vue de la protagoniste. Levée avec son couple parental dans un isolement quasi total, sa psyché est très détaillée. L’écriture est souvent très imagée, personnelle et interne, avec de nombreuses métaphores qui permettent d’installer la pensée singulière et profuse d’une jeune fille solitaire mais vive qui vit avant tout dans son imagination. C’est parfois très beau, parfois très abscons. On est partagées entre son intelligence et une forme d’immaturité due au jeune âge du personnage. Il y a donc des passages complexes, à la construction désarticulée qui rappelle presque une forme d’écriture automatique. Ce n’est par conséquent pas un texte facile d’accès, sans que ce soit réellement un défaut.
En revanche, la mise en place se fait un peu lentement. Le récit prend son temps pour placer le contexte et on met quelques pages avant d’entrer dans le cœur de l’intrigue. Ce n’est donc pas un roman pour les lecteurs qui apprécient les lecteurs trépidantes menées tambour battant. En réalité, c’est assez difficile de voir où l’autrice souhaite nous mener, notamment car nous sommes uniquement du point de vue de la jeune fille. Ce qui pose toujours la question de la fiabilité de la narration.
Paideia, une fin de monde à hauteur d’enfant modifiée
Paideia soulève des questions profondes sur la maternité, la liberté de choix, la différence, le harcèlement, l’éducation et la place de la technologie dans notre société. Claire Garand offre un roman de science-fiction singulier, mêlant le post-apocalyptique au space opera, et abordant des thèmes sociaux et philosophiques complexes. L’autrice choisit de se contrer sur un seul individu, plongeant le lecteur de son point de vue. Cette écriture très personnelle peut rendre la lecture opaque, mais elle permet de bien saisir les choix auxquels le personnage fait face. Paideia est un premier roman prometteur, provoquant une réflexion profonde sur la condition humaine, la société et les choix individuels dans un futur agonisant.
Note : 16/20
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2 commentaires
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Paideia de Claire Garand - Les lectures de Shaya · 23 juin 2024 à 17 h 42 min
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