Le bruit et la fureur… Nous sommes dans les années 40, dans les Etats-Unis ségrégationnistes. Le destin d’une petite fille noire nous confronte aux horreurs de la pauvreté, des ravages de l’alcoolisme et de la violence. L’œil le plus bleu est paru en 1970. Il s’agit du premier roman de Toni Morrison, qui recevra le Prix Nobel de Littérature en 1993 pour l’ensemble de son oeuvre.

Synopsis de L’oeil le plus bleu

Chaque nuit, Pecola priait pour avoir des yeux bleus. Elle avait onze ans et personne ne l’avait jamais remarquée. Mais elle se disait qu’avec des yeux bleus tout serait différent. Elle serait si jolie que ses parents arrêteraient de se battre, que son père ne boirait plus, que son frère ne ferait plus de fugues. Si seulement elle était belle, si seulement les gens la regardaient.
Quand quelqu’un entra, la regarda enfin, c’était son père et il était ivre. Elle faisait la vaisselle et il la viola sur le sol de la cuisine, partagé entre la haine et la tendresse….

Un roman puissant

L’œil le plus bleu est un roman d’autant plus frappant qu’il est court. Cela rend chaque mot précieux, chaque action marquante, chaque personnage important. Toni Morrison assène à son écriture un phrasé précis et minutieux, insufflant à son oeuvre une forme de cruauté ordinaire dans ces mots qui exposent les maux d’une société gangrenée par la pauvreté. Le texte ne nous épargne pas les détails sordides ou choquants, sans pourtant jamais tomber dans la vulgarité mais restant dans un réalisme froid et révoltant. 

Pour soutenir son propos, Toni Morrison construit une galerie de personnages qui évoque chacun à leur manière la douleur de la discrimination et les ravages de la pauvreté. Alcoolisme, violence, mais aussi invisibilisation des noirs dans une société où l’idéal de la beauté est, dans les premières pages c’est remarquablement décrit, blanche, blonde et aux yeux bleus.

Au centre de l’histoire, nous avons Pecola. Pecola est laide. Née dans une famille en décomposition, elle n’a connu que la violence. Insignifiante et méprisée de tous, son rêve est d’avoir les yeux bleus. Afin qu’elle soit belle. Mieux que cela. Afin qu’elle soit vue, qu’elle soit regardée. Son histoire est tragique et poignante, le dénouement, sordide et cruel. 

De plus, l’autrice choisit de placer son récit d’après plusieurs points de vue. Le procédé offre donc une vision très vastes de ce que la communauté noire a pu subir. J’ai cependant trouvé que le défaut du récit s’y cachait. Il y a des passages d’un point de vue à l’autre qui ne se font pas de manière naturelle. On perd un peu le point central du roman, et c’est dommage. 

Toni Morrison aborde la question de l’identité noire avec intelligence. Elle montre avec efficacité la façon dont les Noirs assimilaient les violences assénées par la société blanche. La famille de Pecola, par exemple, s’estimait laide non pas car ce fut vrai, mais car on lui laissait le penser. Elle portait alors sa laideur comme un costume. De la même façon, Pecola elle-même idéalise la jeune actrice Shirley Temple, souhaitant lui ressembler (Shirley Temple était une actrice aux boucles très blondes). Enfin, les métis sont mieux vus que les noirs, étant constamment affirmés comme moins intelligents. L’internalisation des violences et des valeurs de la classe dominante est un procédé remarquablement retranscrit par l’autrice.

Le cas des femmes est particulièrement symptomatique. Toni Morrison construit une hiérarchie violente du mépris. Les femmes noires sont en bas, avec les enfants noirs. Victimes à la fois de leur sexe, mais aussi de leur couleur de peau. 

Une lecture indispensable

L’œil le plus bleu est donc un roman court mais remarquable et viscéral. Profond et bien mené, il laisse un goût âcre dans la gorge une fois fini. Si le récit dévie un peu par moment, la plume de Toni Morrison possède la profondeur et la richesse pour faire passer des messages puissants et nous marquer au fer rouge. Le tout en abordant un nombre de problématiques tout à fait étonnant pour un récit si court.

Note : 17/20

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Catégories : Chroniques

2 commentaires

Babitty Lapina · 6 juin 2019 à 20 h 17 min

J’ai entendu le plus grand bien de cette autrice, mais rien que le résumer m’a serré terriblement le cœur. La dernière phrase m’a brisée le coeur. Je pense que le lirais un jour quand j’irais bien et que je peux le lire. En ce moment je suis en train de lire Vox roman puissant qui me met terriblement en colère et que j’apprécie beaucoup en même temps. Du coup c’est clairement pas avec ce roman que je vais enchaîner Vox !

    La Geekosophe · 6 juin 2019 à 20 h 58 min

    Oui, c’est un récit très dur ! Il vaut mieux lire « La fille qui avait bu la lune » pour faire tampon 😉

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