Je n’ai pour l’instant lu qu’un roman de Nancy Kress, les hommes dénaturés, et j’avais bien apprécié cette SF qui lorgnait également vers l’analyse sociale. L’une rêve, l’autre pas est un format court multiprimé qui m’attendait depuis quelques années dans ma bibliothèque. Qu’en ai-je pensé ?

Synopsis de L’une rêve, l’autre pas

Alors que deux jumelles viennent au monde, l’une d’entre elles bénéficie d’une modification génétique qui lui permet de ne plus dormir. Huit heures d‘éveil de plus par jour, un rêve pour apprendre, vivre et découvrir le monde… Huit heures qui feront aussi d’elle un être à part.
Nancy Kress, l’auteur de Danse Aérienne, Les Hommes dénaturés ou du cycle de la Probabilité, est l’une des belles voix de l’imaginaire mondial, développant une science fiction au carrefour de la poésie, de la science et de la conscience sociale.

La société à l’épreuve du transhumanisme

Des êtres dont le sommeil est rayé de leur génome

L’autrice part de ce concept simple : et s’il était possible de créer des humains qui n’ont pas besoin de dormir ? Mais pas que, Nancy Kress imagine que l’absence de sommeil apporte plus de stabilité d’humeur, une meilleure concentration… C’est ainsi qu’une poignée de non-dormeurs grandissent dans des conditions physiologiques différentes du reste du monde. A partir de ce postulat, Nancy Kress décrit les évolution sociales face à cette nouvelle partie de l’humanité, mais aussi comment les non-dormeurs se positionnent. Nous voyons l’histoire du point de vue de Leisha, non-dormeuse, née dans une famille très riche et avec une soeur jumelle normale. On pourrait penser que l’histoire va se concentrer sur la relation entre Leisha et sa soeur Alice, mais assez peu en réalité. L’autrice préfère clairement se concentrer sur un niveau plus macro.

Mais quels sont donc les effets sur la société ? Les non-dormeurs deviennent rapidement des humains plus performants que les humains sans évolution. Ils ont des formations en droit, en médecine etc… L’absence de sommeil leur donne un avantage non négligeable pour des projets porteurs. Mais malgré les changements positifs qu’ils tentent d’apporter, le reste de la société reste dubitative, puis devient de plus en plus agressive. Jalousie ? Menace ? Nancy Kress dessine habilement la peur d’un grand remplacement, posant la question de la différence entre individus, mais aussi la question de la justice. Très littéralement, de nombreux détracteurs opposent le la loi considère que les humains naissent libres et égaux. Mais ce n’est pas le cas pour les non-dormeurs, soutendant qu’ils sont nés non-égaux, voire supérieurs. Alors la loi et les constitutions s’appliquent-elles pour eux ? La novella questionne le fondement même de ce qui fait de nous des humains et interroge les limites applicatives et philosophiques de nos modèles sociétaux.

Les non-dormeurs face au prix de leur caractéristique unique

Le point de vue de Leisha permet de bien comprendre les défis auxquels cette population est soumise. Le défi est intrafamilial et est notamment présenté via le contexte familial de Leisha. Si elle est très attendue par son père, sa mère et sa sœur n’ont pas d’attachement pour elle compte tenu de la préférence du riche patriarche pour son exceptionnelle enfant. Elle est donc traitée en être supérieure, là où Alice n’a, toujours d’après « Papa », rien de spécial. Le personnage principal vit donc dans une bulle qui la rend très naïve. Surtout quand elle se confronte à des compagnons qui ont une opinion plus radicale et moins idéaliste que la sienne. Car certains non-dormeurs se posent la question : mieux vaut-il qu’ils construisent leur propre havre de paix loin de la société normale ? Beaucoup d’éléments de l’histoire rendent cette interrogation très complexe et nuancée.

C’est un dilemme moral qui est très bien présenté par l’autrice, ce qui explique à quoi sont confrontés des gens qui appartiennent à des minorités. Le bémol que je pourrais donner est cependant que le format, court, fait que le récit se limite aux Etats-Unis. Il y a bien quelques mots rapides sur d’autres pays, mais cela reste très contré sur les US. Même si Nancy Kress maîtrise très bien la novella, j’aurais bien apprécier voir sa logique poussée encore plus loin, notamment car elle émet quelques théories qui font qu’il aurait été intéressant de voir les transformations de la société à plus long terme.

L’une rêve, l’autre pas propose un discours fin sur la différence

A quoi ressembleraient des individus qui ne dorment pas ? Comment la population accepterait des gens aux capacités supérieures ? Nancy Kress dessine une société qui se fragmente. Les non-dormeurs doivent faire face à de l’animosité de la part de la société, mais parfois même au sein de leur propre famille. L’autrice pose à partie de là de multiples questions ! le droit peut-il s’appliquer à tous ? L’autarcie est-elle une solution pour des individus trop différents ? Le point de vue de Leisha permet d’aborder ses thématiques au plus près et de comprendre son expérience en le confrontant entre dormeurs et non-dormeurs, rendant le récit nuancé. Cependant, le format court, bien qu’admirablement maîtrisé, ne permet d’aller jusqu’au bout de l’idée.

Note : 17/20

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Catégories : Chroniques

2 commentaires

Parlons fiction · 20 juillet 2024 à 23 h 37 min

J’avais beaucoup aimé la thématique de cette novella ! Les sujets du sommeil et de l’exploitation du temps, des minorités et de l’égalité des chances sont passionnants. Tout comme toi, j’aurais aimé que l’histoire aille plus loin… mais il aurait sans doute fallu un format plus long.

    La Geekosophe · 28 juillet 2024 à 11 h 32 min

    Oui, vu que c’est un parti pris qui affecte l’ensemble de la société, on peut étirer le sujet sur un format bien plus long

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