Merci aux éditions ActuSF pour cet envoi ! J’avais trouvé le résumé de ce roman particulièrement attractif, avec un univers de biopunk reposant certes sur des mécaniques classiques mais qui ne manquent pas d’attrait. J’étais également curieuse de découvrir l’autrice, dont j’ai beaucoup entendu parler. Alors qu’ai-je pensé de « Les hommes dénaturés » ?

Synopsis de « Les hommes dénaturés »

Dans les années 2030, la fertilité masculine a brutalement chuté sur l’ensemble de la planète. Les enfants sont si rares que les couples sont prêts à tout pour en avoir, quitte à traiter leurs animaux domestiques comme des bébés humains…
Shana Walders, jeune appelée de l’armée américaine, participe à l’évacuation d’une zone dangereuse où un train transportant des produits toxiques a déraillé. Elle voit l’espace d’un instant l’inimaginable tapi au fond d’une cage. Son témoignage auprès de ses supérieurs signe sa radiation de l’armée. Mais elle décide de mener sa propre enquête pour découvrir la vérité. Alors que le gouvernement a interdit la génétique humaine, Shana découvre qu’un trafic clandestin s’organise à grande échelle. Elle vient de mettre le doigt dans un engrenage qui met en jeu l’avenir de l’homme…

Un récit haletant dans un futur cauchemardesque

Un techno-thriller efficace

« Les hommes dénaturés » propose un mélange entre une enquête troublante et un avenir dystopique, le genre de chose qui fonctionne bien sur la personne que je suis. L’univers présenté met en scène un 2030 dans lequel l’infertilité touche la grande majorité de la population. Le jeunesse comme les enfants deviennent des biens rares protégés à tout prix par un peuple vieillissant et inquiet. Si le résumé de ce côté semble assez classique et rappelle aussi bien les fils de l’homme que la servante écarlate, Nancy Kress parvient à prendre un angle efficace.

Elle choisit notamment de placer son histoire dans une enquête dérangeante impliquant des manipulations génétiques et un complot. L’axe principal du monde futur est que beaucoup des adultes connaissent une vaste crise affective, notamment les personnes en âge d’être parents, ce qui amène à la prolifération d’animaux de compagnie chouchoutés comme le fut Choupette par Karl Lagerfeld mais multiplié par 1000. De plus, Nancy Kress choisit d’expliquer l’infertilité mondiale via les perturbateurs endocriniens, ce qui est très concret et assez terrifiant.

Les hommes dénaturés pose la question de notre inaction

Le récit se veut parfois froid et détaché, un peu comme les personnages qui la composent. Beaucoup d’éléments mettent en cause la place de l’humanité dans sa survie, notamment son incapacité à agir concrètement autrement qu’au pied du mur. Il y a ainsi des passages du roman qui mettent en avant que les perturbateurs sont identifiés comme responsables de la chute des naissances. Cependant, ils ne sont pas interdits car ils sont partout, notamment dans des produits d’usage quotidien tellement pratiques que les gens sont incapables de s’en passer et que les industriels refusent la perte de profits. Un discours très d’actualité qui rappelle aussi bien l’excellent film Dark Waters que La fabrique de l’ignorance, un documentaire sur Arte. Les hommes dénaturés nous met donc face à une dissonance claire au niveau social, une incohérence entre ce qui nous est nécessaire à long terme et confortable sur le court terme.

Nancy Kress aborde également les profonds changements de la société. La population est majoritairement solitaire et vieillissante, contrainte de faire appel à des subsituts pour leur affection. Les jeunes sont enrôlés et élevés pour servir de soutien aux plus âgés dès leur plus jeune âge, privé en quelque sorte de leur individualité de par leur statut de ressources précieuses. Le paysage urbain se modifie, un marché noir des enfants et des substituts apparaît pour répondre à la demande, homophobie généralisée… L’autrice sait bien raconter des histoires qui ont un fond même si l’aspect thriller prend souvent le pas sur le reste.

Une écriture directe mais sans supplément d’âme

Je me suis laissée emportée par le côté thriller. On ne s’ennuie pas un instant dans cette histoire vive qui enchaîne les péripéties. L’intrigue est efficace et plutôt bien tournée. L’idée de mettre en avant trois personnages permet d’avoir accès à différents points de vue sur ce monde à la fois proche et éloigné du nôtre et donne du corps à des éléments scénaristiques souvent accrocheurs. La plume est sans fioriture, la lecture se fait de manière très fluide et ne tombe pas dans trop de complexité (il faut savoir que Nancy Kress est aussi connue pour sa hard SF, un genre dont le côté parfois sec et ardu me rebute parfois).

Cette simplicité dans l’écriture ne met malheureusement pas vraiment en valeur les personnages. Ils ont pourtant des personnalités propres et bien construites, mais ils ont constamment une certaine froideur qui n’invite pas à l’attachement. La mécanique d’écriture est bien huilée, peut-être même un peu trop, mais ne va jamais dans le cœur des problématiques, ce qui leur donne parfois un aspect plus fonctionnel qu’humain. Est-ce pour que le rythme haletant de l’aspect thriller ne pâtisse pas d’une lenteur qu’aurait nécessité une mise en situation plus charnue ? Difficile à dire, mais on en est rendu que la partie thriller est la principale raison de lire ce roman, et c’est un argument suffisant !

Les hommes dénaturés est globalement sympathique

J’ai été convaincue par le récit ! L’anticipation repose sur des bases classiques mais solides, l’autrice sait très bien raconter des histoires, d’autant plus qu’ici le fond est intéressant et maîtrisé. Le choix de s’appuyer sur trois personnages pour la narration permet de renforcer un côté haletant. Ces trois personnages sont par ailleurs variés et bien construits, avec des personnalités fortes et crédibles, mais l’écriture vive n’entre pas en profondeur dans leur psychologie. Le récit nous emporte dans un problème social de grande ampleur sur un ton incisif et sans concessions. Avec si peu de concessions même que le style un peu froid peut parfois créer une distance avec l’histoire et les protagonistes.

Note : 15/20

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Catégories : Chroniques

7 commentaires

Yuyine · 9 mars 2021 à 15 h 13 min

Je dois découvrir Nancy Kress et je trouve que ce titre pourrait me permettre d’y aller sans trop de craintes. Ton avis très éclairant m’a en tout cas donné envie de lui donner sa chance..

    La Geekosophe · 11 mars 2021 à 21 h 50 min

    Oui, bonne lecture ! Et ce n’est pas son meilleur apparemment, elle a aussi de bonnes parutions dans la collection Une Heure Lumière chez Le Bélial 🙂

zoelucaccini · 20 mars 2021 à 11 h 25 min

C’est rigolo, j’avais vu passer ta chronique lors de sa publication, et je ne la lis que maintenant (hasard de calendrier, je me pose enfin dans mon canapé pour rattraper mon retard sur mes blogs favoris…). Je m’étais dis « ah tiens, il faut que je lise ta chronique, j’ai justement la fontaine des âges à commencer, je mettrai celui-là ensuite sur ma PaL ».
Et donc j’ai lu, entre temps, la fontaine des âges. Rendez-vous complètement raté, d’une part parce que je n’ai rien saisi aux aspects SF, et d’autre part parce que j’ai détesté les personnages et surtout l’écriture, froide.

Alors ce matin, je lis ta chronique en me disant « bon, peut-être qu’un autre ouvrage de Kress pourrait le faire ? ». La réponse, en te lisant, est définitivement non. Car je lis ton avis sur les personnages et l’écriture sensiblement la même, froide, sans fioriture, directe. Et ce n’est pas mon genre du tout, je n’arrive pas à accrocher et du coup tout le reste (qui pourtant doit être de qualité, certainement, comme tu le mentionnes d’ailleurs) me passe au-dessus.

Alors bon, je pense que les œuvres de Nancy Kress ne sont pas pour moi !

    La Geekosophe · 20 mars 2021 à 17 h 26 min

    C’était mon premier Nancy Kress et je me demandais si c’était toujours aussi froid et direct (apparemment oui :D). C’est un aspect qui me dérange moins mais c’est apparemment l’une de ses marques de fabrique !

      zoelucaccini · 20 mars 2021 à 18 h 24 min

      Oui il semble bien ! Après, que l’on aime ou pas, on ne peut pas lui retirer ça : elle possède un style bien marqué et reconnaissable.

Vert · 24 mars 2021 à 9 h 52 min

J’en garde un bon souvenir globalement. L’intrigue est pas extraordinaire mais le travail d’anticipation pour un bouquin écrit il y a plus de 20 ans est assez impressionnant.

Challenge de l’Imaginaire – Bilan 2ème trimestre – Ma Lecturothèque · 1 juillet 2021 à 15 h 55 min

[…] Greg Egan5. Le goût de l’immortalité, Catherine Dufou6. Gnomon, tome 1, Nick Harkaway7. Les hommes dénaturés, Nancy Kress8. Sur Mars, Arnauld Pontier9. Celestopol 1922, Emmanuel Chastellière10. Teixcalaan, […]

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