Une ambiance gothique ? Un manoir perdu dans la campagne anglaise ? Une entité malveillante ? Il n’en fallait pas plus pour me laisser convaincre par « L’indésirable », que j’ai lu dans sa version originale « The Little Stanger ». J’avais de plus eu de très bons échos sur le style de Sarah Waters !
Synopsis de L’indésirable
Au hasard d’une urgence, Faraday, médecin de campagne, pénètre dans la propriété délabrée qui a jadis hanté ses rêves d’enfant : il y découvre une famille aux abois, loin des fastes de l’avant-guerre. Mrs Ayres, la mère, s’efforce de maintenir les apparences malgré la débâcle pour mieux cacher le chagrin qui la ronge depuis la mort de sa fille aînée. Roderick, le fils, a été grièvement blessé pendant la guerre et tente au prix de sa santé de sauver ce qui peut encore l’être. Caroline, enfin, est une jeune femme étonnante d’indépendance et de force intérieure.
Touché par l’isolement qui frappe la famille et le domaine, Faraday passe de plus en plus de temps à Hundreds. Au fil de ses visites, des événements étranges se succèdent : le chien des Ayres, un animal d’ordinaire docile, provoque un grave accident, la chambre de Roderick prend feu en pleine nuit, et bientôt d’étranges graffitis parsèment les murs de la vieille demeure. Se pourrait-il qu’Hundreds Hall abrite quelque autre occupant ?
Mené de main de maître
Un ensemble d’éléments bien dosé
Le roman mélange habilement des éléments traditionnels qui peuvent paraître archétypaux : une vieille maison historique qui tombe en ruines, une famille isolée hantée par un passé dramatique, un étranger qui se rapproche des occupants… Mais l’autrice parvient à en faire un récit envoûtant en déjouant nos attentes et en installant une atmosphère lourde et des personnages d’une grande finesse psychologique.
L’aspect paranormal est présent mais n’est distillé qu’avec parcimonie. En ce sens, le roman respecte les codes classiques du fantastique. Notre protagoniste, le Dr Faraday, est un cartésien qui tentera d’expliquer l’ensemble des étrangetés qui frappent les Hundreds (nom de manoir) de manière rationnelle jusqu’à frôler le syndrome de Scully par moments.
Une ambiance particulière grâce à des choix d’écriture judicieux
Le récit pourra paraître un peu lent. Les descriptions sont nombreuses. Elles concernent notamment les personnages, car ils ont chacun des personnalités complexes. Mais ces moments de pause dans les événements installent une atmosphère lourde, anxiogène et suspicieuse. Hundreds devient un personnage à part entière qui inquiète et jette une ombre insondable sur les personnages et les événements.
De plus, les éléments fantastiques arrivent de manière graduelle. Ils ne sont jamais trop exagérés pour que l’on cesse d’y croire, et l’on est curieux de savoir quel sera le prochain incident qui frappera les habitants du manoir. Au contraire, l’entité est subtile et arrive à créer des événements dérangeants qui posent sérieusement la question de sa propre santé mentale. Est-ce qu’on réagirait comme le Dr Faraday ? Est-ce qu’on croirait réellement à l’existence d’une sorte de malédiction maligne hantant la maison ?
Un doute palpable qui sert le récit et la fin
La grande réussite est de parvenir à maintenir le doute. « L’indésirable » met en scène des personnages qui y participent grandement. La fragilité psychologique des résidents des Hundreds est mise en scène avec minutie. Peu palpable au début, chacun sera mis à l’épreuve et devra explorer ses points de faiblesse, parfois jusqu’à la rupture. La scène la plus marquante étant sans doute celle de Madame Ayres, qui subira le gros du courroux qui frappe le Manoir.
Le final laisse quelques indices, mais est également déchirant. Les dernières pages ne sont pas l’explosion d’horreur à laquelle on aurait pu s’attendre, mais plus une descente aux enfers réaliste et prosaïque. Mais qui demeure terrifiant à sa manière, un point final dramatique.
Enfin, l’écriture est d’une grande délicatesse et sert admirablement le récit. Sarah Waters décrit les sentiments avec soin, ce qui nous immerge dans l’histoire. De même, les descriptions du vaste domaine des Hundreds sont évocatrices et puissantes. Elles nourrissent une atmosphère lourde, tendue, qui respire la gloire passée et une ambiance fin de race.
L’Indésirable est une lecture indispendable pour les adeptes des maisons hantées
Malgré quelques lenteurs, L’indésirable est un tour de force pour un récit aussi codifié que celui de la maison hantée. Grâce à ce roman qui en a tous les archétypes, Sarah Waters montre que même les histoires que l’on pense avoir lues des milliers de fois peuvent être revécues à loisir si l’ensemble est de qualité.
Note : 16/20
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