Alain Damasio s’est imposé dans le paysage littéraire française grâce à l’exigence de son écriture et la grande originalité de son univers. Lire « La zone du dehors », premier roman réécrit, est donc un retour aux sources et une découverte des premières inspirations de l’écrivain.

Synopsis de La zone du dehors

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Orwell est loin désormais. Le totalitarisme a pris les traits bonhommes de la social-démocratie. Souriez, vous êtes gérés ! Le citoyen ne s’opprime plus : il se fabrique. A la pâte à norme, au confort, au consensus. Copie qu’on forme, tout simplement. Au coeur de cette glu, un mouvement, une force de frappe, des fous : la Volte. Le Dehors est leur espace, subvertir leur seule arme. Emmenés par Capt, philosophe et stratège, le peintre Kamio et le fulgurant Slift que rien ne bloque ni ne borne, ils iront au bout de leur volution. En perdant beaucoup. En gagnant tout.

Premier roman, ici réécrit, La Zone du Dehors est un livre de combat contre nos sociétés de contrôle. Celles que nos gouvernements, nos multinationales, nos technologies et nos médias nous tissent aux fibres, tranquillement. Avec notre plus complice consentement. Peut-être est-il temps d’apprendre à boxer chaos debout contre le swing de la norme?

Un premier roman marquant

Une mise en place efficace

Ici, on nous propose une société dystopique, non pas policière, mais avec une sorte de ventre mou démocratique où les citoyens sont contraints à une forme de conformisme. Mais on retrouve beaucoup d’éléments traditionnels : une hiérarchisation des citoyens suivant des règles opaques, un groupe de rebelles, des chefs manipulateurs et cynique, la disparitions des noms au profit de séries de lettres imprononçables… On reste en territoire connu mais tout de même réinterprété de manière originale, ce qui est plaisant.

L’écriture d’Alain Damasio est toujours efficace, avec des jeux de la langue française qui nous proposent des passages ludiques et prouvent le talent de l’écrivain dans le domaine. Le contrepoids, c’est que le livre est parfois très bavard. On perd le côté romanesque pour entrer dans des discours de philosophie politique. L’auteur fera beaucoup référence à Nietszche ou Foucault. Ce n’est pas désagréable et c’est très bien écrit, mais c’est parfois un poil trop long ou bavard.

Un roman mûrement construit

Mais c’est aussi pour construire une pensée critique forte : celle d’une société qui est capable de manipuler ses citoyens sans en avoir l’air, en les transformant en leurs propres bourreaux, des avocats d’une cause qui les aliène. Les discours du Pouvoir en place sont d’ailleurs de vrais trésors de rhétorique : ils mettent constamment en avant des valeurs comme le respect, la solidarité, la bonne entente, l’ordre social… pour mieux stigmatiser les éléments moins dociles. Une sorte de « Diviser pour régner », pourrait-on dire.

J’ai beaucoup apprécié la construction narrative du récit. L’auteur a choisi une alternance de points de vue, une structure qu’il approfondira dans « La Horde du contrevent ». Il maîtrise très bien cet exercice, qui lui permet de mettre à profit son talent stylistique, car chaque personnage est très reconnaissable. C’est un réel tour de force. Ensuite, cela permet d’approfondir son univers en proposant d’autres visions de l’action qui a cours, par exemple lors de la rencontre entre Capt et P, joute verbale où chaque personnage partage ses pensées sur l’autre menée avec une aisance proche de la perfection.

Les personnages sont de manière globale convaincants. On a droit pour chacun à un tour dans leur psyché, ce qui les rend très attachants et crédibles. Il y a juste un manque de représentation dans les personnages féminins qui peut être assez gênant. La seule est Boule de Chat, une jeune femme qui sert plus faire-valoir à Capt, ce qui stoppe vite ce qu’elle commence à développer comme personnalité.

Un inspensable malgré ses défauts

Un roman intéressant par sa structure et son propos. On y voit poindre les premiers marqueurs du style Damasio : une écriture créative et exigeante, une vision engagée de l’imaginaire et un parti pris narratif qui ne tombe pas dans la facilité. Malgré ses quelques défauts (une tendance à se montrer trop bavard ou des personnages féminins absents), le roman est à lire pour aussi découvrir un point de vue éclairant sur la manipulation politique.

Note : 15/20

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Catégories : Chroniques

4 commentaires

choupaille · 19 janvier 2020 à 15 h 04 min

Ça sent le HMSFFF Challenge, ça – et surtout le BON roman !
Je l’ai lu il y a une très grosse année, et ç’a été une claque. Il y a un ton très professoral de Captp par moments (on est à la limite de voir Damasio lui-même prendre corps dans le roman), mais ça reste ciblé à un ou deux passages clefs, donc j’ai passé l’éponge.
Je m’en souviendrai longtemps, il pose des questions d’actualité dont on n’a pas vraiment les réponses et bon, la plume de Damasio quoi. Pour moi c’est un immense oui, même si j’avoue qu’il y a un passage auquel je m’attendais et qui je trouve n’apporte pas grand chose – en un mot sans spoiler : CUBE.

Perso je me suis lancée dans Vox pour le HMSFFF Challenge, j’espère qu’il sera bon, là c’est trop tôt pour le dire ! ^-^

    La Geekosophe · 19 janvier 2020 à 22 h 21 min

    En effet, c’est le HMSFFF ! Je voulais lire le roman plus tôt mais je l’ai gardé pour le thème. Hâte d’avoir ton avis sur Vox, j’ai entendu des avis mitigés malheureusement.

    J’ai aussi lu les heures rouges de Leni Zumas, une dystopie féministe dans un monde proche où l’avortement, la PMA, les adoptions pour les célibataires… Ont été interdits ! J’ai beaucoup apprécié, je m’attendais à ce que le traitement soit superficiel pour profiter du succès de la Servante Ecarlate mais c’est un roman délicat et lucide.

Yuyine · 21 janvier 2020 à 11 h 06 min

Je n’ai encore jamais lu de Damasio 😡 mais je m’apprête à lire Les furtifs pour le prix imaginales des bibliothécaires. J’ai des réticences sur ce style trop bavard (j’ai déjà du mal avec les interviews de l’auteur ^^) mais j’ai tout de même hâte de le découvrir. Je me note celui-là en back-up si j’accroche aux Furtifs.

    La Geekosophe · 21 janvier 2020 à 12 h 35 min

    Halalala, j’ai vu la même critique par d’autres lecteurs, ce qui m’a conforté ! Je pense que c’est vraiment une question de sensibilité, ça ne m’a pas empêché d’apprécier le roman mais c’est bon d’être préparé 🙂

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