J’aime beaucoup l’œuvre d’Alan Moore, notamment la bande-dessinée Watchmen qui est un véritable chef-d’œuvre. Quand ActuSF m’a proposé de recevoir une édition classieuse d’un ensemble de nouvelles qu’il avait publié intitulé La voix du feu, je me suis dit que j’allais tenter l’aventure. Et je suis ravie, cette nouvelle édition est franchement sublime.

Synopsis de La voix du feu

C’est à la reconstitution d’un puzzle littéraire qu’Alan Moore, l’extraordinaire auteur des Watchmen et de from Hell nous invite ici: celui de l’histoire de sa ville natale, Northampton. Dans chacun des douze chapitres, de -40 000 av. J.-C. jusqu’à nos jours, la cité britannique nous apparaît à travers le regard d’un nouveau narrateur, témoin de son époque et de l’évolution d’une région qui semble condamnée à baigner entre mythe et réalité. Douze voix, donc, pour douze récits de vie et de mort.

Un concept original pour un bel hommage

La voix du feu propose des nouvelles hétérogènes

Alan Moore nous propose un voyage à travers le temps en gardant comme unique point de repère la ville de Northampton, où il est né, a grandi et vit toujours. Nous faisons des bons de plusieurs centaines, voire milliers d’années, à travers les yeux d’un ensemble de personnages variés : homme attardé du néolithique (le recueil s’ouvre en effet sur une nouvelle assez opaque, un pari très osé pour décontenancer le lecteur), nonne sujette à des visions, représentant du commerce, juge libidineux… Les nouvelles sont également de longueur et de thèmes variés, tant et si bien qu’il peut sembler dans un premier temps que la cohérence soit difficile à discerner.

Mais c’est mal connaître l’auteur ! Très vite, des thèmes communs apparaissent. Le premier est évidemment dans le titre, avec la présence du feu, pouvoir destructeur ou créateur qui joue un rôle dans chaque nouvelle quasiment. La présence de la magie et du fantastique, fortement emprunte de religion comme de croyances païennes. Il y a aussi bien sûr une quête de richesse, et de son pendant obscur la pauvreté. La présence du sexe, pis, de la luxure qui suinte à travers les textes et les désirs des personnages. Et la mort bien sûr, car elle hante chaque page avec une sale odeur de charogne. Enfin, il y a de multiples références aux jambes/pieds, à leur absence ou ou au fait que certains personnages soient blessés au pied et boiteux. Ici, l’auteur semble nous présenter les marqueurs de Northampton, tiraillée entre ombre et lumière.

Envoûtant et repoussant

La plume d’Alan Moore est particulièrement efficace. A la fois poétique et cruelle, elle nous emmène dans cet univers si semblable au nôtre. Il réussit une vraie prouesse en offrant une personnalité propre à chaque narrateur, car chaque nouvelle a sa propre voix. C’est particulièrement perceptible dans la première nouvelle, qui suit les pérégrinations d’un homme du néolithique souffrant d’un retard mental. La narration est très étrange, presque illisible, et doit être décryptée. Mais il s’y cache des éléments fondateurs du reste des nouvelles, comme le feu, l’omniprésence de la mort et de la souffrance, ainsi que les éléments fantastiques et ésotériques. L’écriture utilisera tous les sens pour plonger dans ces histoires brutales, intenses et hallucinées.

L’écriture permet de mettre en avant des thèmes chers à l’auteur et qui mettent souvent le lecteur mal à l’aise. C’est très perceptible via la présence importante du corps et tout ce qu’il implique de direct et peu ragoûtant. Alan Moore ne nous épargne pas les détails de la maladie ou de la mort, entre les choses noircies pas le feu, le corps transformé par la maladie ou la vieillesse… Cette forme de body horror marque une désacralisation de l’humain et montre l’aspect profondément impie et bestial qui hante les villes faussement civilisées. Il y a bien sûr l’aspect charnel, mais plus dans cet appétit bestial et avide que dans une forme d’harmonie ou d’appréciation mutuelle.

Des nouvelles déconcertantes mais qui offrent une belle aventure

Quel étrange récit ! Alan Moore n’est pas qu’un excellent auteur de bande-dessinées, c’est aussi un très bon écrivain. La qualité de la plume en elle-même est puissante. L’écrivain nous plonge dans un univers tout en textures et odeurs, repoussantes la plupart du temps. Car il choisit de nous raconter Northampton à travers sa part obscure et sale, entre sorcellerie, stupre et violence. Si chaque nouvelle a sa propre voix, il dissémine des thématiques communes qui montrent une grande subtilité, que ce soit à travers le feu, la présence de corps morbides, la question de la folie… L’auteur crée ainsi une cohérence complexe qui séduit et a déjà fait sa marque de fabrique via d’autres médias.

Note : 16/20

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Catégories : Chroniques

4 commentaires

Uranie · 29 décembre 2020 à 19 h 56 min

Je n’ai jamais lu Alan Moore, mais ton retour me donne très envie !

    La Geekosophe · 30 décembre 2020 à 22 h 49 min

    C’était mon premier roman de lui, je n’avais lu que des bande-dessinées et il a une chouette plume 😉

Yuyine · 7 janvier 2021 à 15 h 30 min

Aaaaah je suis bien tentée maintenant! J’étais déjà curieuse de voir ce que donnait l’auteur dans un autre format que le comics mais après ton avis j’ai envie de m’y plonger. Tellement de livres à lire, si peu de temps :p

[Chronique] La voix du feu, d’Alan Moore – Sometimes a book · 3 février 2021 à 7 h 00 min

[…] avis : La Geekosophe – Xapur – Vert – […]

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