Un mois de lecture à un rythme assez tranquille ! Le mois de janvier augure bien cette année avec des romans de bonne qualité et aux discours forts, avec notamment une belle part dédiée à l’imaginaire et une biographie romancée parce qu’un peu de diversité ne fait pas de mal.
Emissaires des morts d’Adam-Troy Castro
Quand elle avait huit ans, Andrea Cort a été témoin d’un génocide. Pis, après avoir vu ses parents massacrés, elle a rendu coup pour coup. En punition de ses crimes, elle est devenue la propriété perpétuelle du Corps diplomatique. Où, les années passant, elle a embrassé la carrière d’avocate, puis d’enquêtrice pour le bureau du procureur. Envoyée dans un habitat artificiel aussi inhospitalier qu’isolé, où deux meurtres viennent d’être commis, la jeune femme doit résoudre l’affaire sans créer d’incident diplomatique avec les intelligences artificielles propriétaires des lieux. Pour ses supérieurs, peu importe quel coupable sera désigné. Mais les leçons qu’Andrea a apprises enfant ont forgé l’adulte qu’elle est devenue : une femme pour le moins inflexible, qui ne vit que pour une chose, « combattre les monstres ».
Émissaires des morts est une excellente lecture. Dans un premier temps, l’univers adopte un point de vue singulier, en présentant les humains comme une espèce belliqueuse qui provoque surtout la méfiance chez les autres espèces. L’aspect des enquêtes renforce un univers loin d’être exempt de racisme ou de conflits, et montre également une grande maîtrise de la part d’Adam-Troy Castro des codes des romans policiers et thrillers judiciaires. Cela se remarque à travers un personnage principal nuancé et torturé, mais avec assez de singularité pour ne pas être un cliché. Autre point réjouissant, l’auteur dévoile une SF fondée sur des aspects anthropologiques et sociologiques : tout est affaire de communication inter-espèces, compréhension des traditions et des croyances, mais aussi relations entre ces différentes espèces.
L’homme qui mit fin à l’histoire de Ken Liu
Futur proche.
Deux scientifiques mettent au point un procédé révolutionnaire permettant de retourner dans le passé. Une seule et unique fois par période visitée, pour une seule et unique personne, et sans aucune possibilité pour l’observateur d’interférer avec l’objet de son observation. Une révolution qui promet la vérité sur les périodes les plus obscures de l’histoire humaine. Plus de mensonges. Plus de secrets d’État.
Créée en 1932 sous mandat impérial japonais, dirigée par le général Shiro Ishii, l’Unité 731 se livra à l’expérimentation humaine à grande échelle dans la province chinoise du Mandchoukouo, entre 1936 et 1945, provoquant la mort de près d’un demi-million de personnes… L’Unité 731, à peine reconnue par le gouvernement japonais en 2002, passée sous silence par les forces d’occupation américaines pendant des années, est la première cible de cette invention révolutionnaire. La vérité à tout prix. Quitte à mettre fin à l’Histoire.
Ken Liu fait montre d’une grande maîtrise du format court en présentant cette œuvre d’une grande richesse qui traite en peu de mots des problématiques complexes. Via la retranscription précise du documentaire, il alterne différentes formes et narrations qui ajoutent de l’intensité à son propos. Et Dieu sait que ce propos est puissant. L’auteur parle du rôle de l’histoire et la mémoire dans la construction des individus, et de la puissance destructrice du négationnisme.
Le rêve du celte de Mario Vargas Llosa
Le thème central de ce roman, conduit au rythme haletant des expéditions et des rencontres du protagoniste, est la dénonciation de la monstrueuse exploitation de l’homme par l’homme dans les forêts du Congo, alors propriété privée du roi Léopold II de Belgique, et dans l’Amazonie péruvienne, chasse gardée des comptoirs britanniques jusqu’au début du XXe siècle.
Personnage controversé, intransigeant, peu commode, auteur d’un célèbre rapport sur l’Afrique qui porte son nom, l’aventurier et révolutionnaire irlandais Roger Casement (1864-1916) découvre au fil de ses voyages l’injustice sociale mais également les méfaits du colonialisme qu’il saura voir aussi dans son propre pays. Au rêve d’un monde sans colonies qui guidera son combat, viendra ainsi s’ajouter, comme son prolongement nécessaire, celui d’une Irlande indépendante.
Tous les deux vont marquer la trajectoire de cet homme intègre et passionné dont l’action humanitaire deviendra vite une référence incontournable mais dont l’action politique le conduira à mourir tragiquement dans la disgrâce et l’oubli.
Le rêve du Celte est vraiment une lecture éclairante ! J’ai beaucoup aimé le parcours de Roger Casement, qui couvre de nombreux questionnements : racisme, homophobie, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes… L’homme dérange profondément les sociétés avides de richesses et de cruauté, car il s’acharne à enquêter et décrire toutes les horreurs qu’il croisera dans ses rapports. C’est également l’histoire d’un drame marqué par le disgrâce et l’infamie, et l’histoire d’un homme qui n’aura jamais vraiment trouvé sa place dans le monde.
L’anti-magicien de Sebastien de Castell
Kelen, 16 ans, est l’héritier d’une des grandes familles qui se disputent le trône de la cité. Il prépare son premier duel pour devenir mage. Mais ses pouvoirs ont disparu. Il doit ruser… ou tricher, quitte à risquer l’exil, voire pire. Ses seuls soutiens, deux acolytes explosifs: Furia, la vagabonde imprévisible et Rakis, un chacureuil féroce et acerbe.
C’est un roman jeunesse de bonne facture, avec beaucoup d’action, une dose d’humour et un peu de drames. Les personnages sont très bien caractérisés, avec un trio de héros détonnants et mal assortis, mais c’est qui les rend si efficaces. Kelen a d’intéressant qu’il n’est pas un héros parfait promis à un brillant avenir, mais est au contraire destiné à devenir un paria parmi son propre peuple. Cet élément permet d’examiner des questions assez profondes : jusqu’à quand la loyauté envers les siens doit-elle être maintenue ? Mais aussi des questions sur les naissances des peuples et du bien-fondé des traditions. C’est un peu dommage que la contextualisation du monde soit parfois un peu légère, ce qui empêche de prendre conscience de l’ampleur de certaines décisions.
Moxyland de Lauren Beukes
Au Cap, en Afrique du Sud, dans la société ultra-technologique qu’est Moxyland, la répression de la SAPS, la police locale, est impitoyable, le contrôle par les grandes entreprises, omnipotent. Pour exister dans cet univers ultracapitaliste, mieux vaut être connecté. Car le virtuel a pris le pas sur le réel, et pour être de la partie, le téléphone portable est un passeport obligatoire, si ce n’est vital.
Certains pourtant croient encore en une autre forme d’humanité. Comme Kendra, jeune photographe, et Lerato, programmatrice, qui flirtent avec les limites du système. Ou Toby, un DJ, et Tendeka, un activiste notoire, qui ont opté pour l’opposition frontale.
Si l’affrontement est inévitable, l’issue du combat, elle, sera forcément fatale…
Moxyland est un ouvrage typique de Cyberpunk qui propose un univers où les inégalités se sont renforcées et la technologie généralisée. L’histoire nous présente 4 protagonistes en conflit avec une société qui cherche à contrôler ses habitants, y compris dans des mondes virtuels omniprésents. C’est donc un contexte bien mis en place, bien que classique qui nous est présenté, mais glaçant dans sa réalisation et porté par son vocabulaire et un rythme qui donne une forte impression de paranoïa et exigüité. J’ai cependant trouvé que certains éléments étaient expédiés, notamment à la fin, d’autant plus qu’il faut un peu de temps pour entrer complètement dans l’histoire.
Vous commencez bien cette année en matière de littérature ?
4 commentaires
Yuyine · 31 janvier 2021 à 20 h 58 min
Joli bilan lecture! Ken Liu <3
La Geekosophe · 3 février 2021 à 8 h 51 min
Une belle découverte que cet auteur !
Shaya · 1 février 2021 à 18 h 36 min
Beau bilan et surtout très diversifié !
La Geekosophe · 3 février 2021 à 8 h 51 min
Merciiii 😀