La science-fiction est souvent perçue comme un genre peu accessible. Souffrant d’un manque de connaissance et de clichés tenaces, beaucoup de lecteurs chevronnés pensent que la SF, eh bien, ce n’est pas pour eux. Et les clichés ne ont la vie longue quand certains critiques, honteux d’avoir apprécié un roman de ce mauvais genre, mettent en avant que c’est « plus que de la SF ». Pourtant, la science-fiction peut se vanter d’une grande variété. Se déployant en de multiples sous-genres, nombreux sont les lecteurs de science-fiction qui s’ignorent. Alors comment aborder un genre qui semble aussi intimidant ?
Ne commencez pas forcément par de grands classiques de la science-fiction
Les classiques de la science-fiction sont bien sûr excellents, mais certains ne sont pas très abordables, aussi géniaux soient-ils. J’avais par exemple commencé la SF par Fondation d’Isaac Asimov. Mais entrer dans ce roman où le romanesque laissait sa place à des considérations scientifiques assez longues et une écriture froide avaient décontenancé la lectrice de fantasy que j’étais ! Ce sont en effet des romans souvent complexes, mais aussi qui se déclinent dans des sagas très longues qui peuvent vite démotiver (Hyperion, Dune…). Le titanesque est souvent le mot d’ordre.
En fait, je vous conseillerais de commencer par des ouvrages de science-fiction un peu hybrides, qui comporte des éléments de ce que vous aimez lire habituellement. Le genre est très varié et croise facilement des éléments issus de différentes littératures.
Quelques livres de science-fiction pour commencer
Si vous aimez le contemporain
La science-fiction contient des récits d’anticipation qui peuvent être assez proches de notre réalité, mais y ajouter des éléments technologiques innovants pour questionner notre réalité. Les romans ci-dessous proposent des histoires très humaines et situées dans un futur proche du nôtre.
L’unité de Ninni Holmqvist
Parce qu’elle vient d’avoir 50 ans et qu’elle est célibataire, Dorrit est devenue « superflue » et, à ce titre, doit rejoindre l’Unité. Un appartement lumineux et confortable, agrémenté de micros et de caméras de surveillance, lui a été réservé. Un écran de télévision, mais pas de téléphone ni Internet pour communiquer avec l’extérieur… En plus d’être logés, les résidents sont nourris, bénéficient de soins médicaux et peuvent consacrer leur temps au loisir de leur choix. Les nouveaux arrivants sont chaleureusement accueillis… avant d’être affectés à des groupes d’expérimentations médicales humaines. Le corps de Dorrit ne lui appartient plus : à chaque instant on peut lui prélever un organe au bénéfice de ceux qui vivent à l’extérieur et qui sont encore « utiles ». Tout est prévu dans le moindre détail. Sauf une rencontre qui va tout changer.
Donc L’Unité est une dystopie très réaliste et psychologique. Loin des fracas de l’opposition, avec psychologie et réalisme, elle nous emporte dans un possible et nous invite à réfléchir à plusieurs niveaux. Le seul défaut : des moments un peu trop lents qui cassent le rythme de l’œuvre, mais rien de dommageable si vous aimez les dystopies dont l’horreur est tapie discrètement sous un vernis d’utilité sociale.
Des fleurs pour Algernon de Daniel Keyes
Algernon est une souris dont le traitement du Pr Nemur et du Dr Strauss vient de décupler l’intelligence. Enhardis par cette réussite, les savants tentent, avec l’assistance de la psychologue Alice Kinnian, d’appliquer leur découverte à Charlie Gordon, un simple d’esprit. C’est bientôt l’extraordinaire éveil de l’intelligence pour le jeune homme. Il découvre un monde dont il avait toujours été exclu, et l’amour qui naît entre Alice et lui achève de le métamorphoser. Mais un jour, les facultés supérieures d’Algernon commencent à décliner…
C’est un très beau roman qui m’a arraché plusieurs fois des larmes ! Le livre est d’une grande sensibilité, le personnage de Charlie Gordon est une réussite, que ce soit au début du livre ou lorsqu’il devient de plus en plus intelligent. Il propose de véritables réflexions sur la place de l’individu dans le monde, notamment des personnes handicapées, constamment moquées ou traitées comme des charges. Charlie s’aperçoit également que son intelligence, lorsqu’elle frise le génie, l’écarte également des hommes, mais d’une façon différente. Car qu’est-ce que l’intelligence sans l’empathie, la chaleur, l’humanité ? Le récit est dramatique et touchant, et est parfaitement servi par la forme service. Daniel Keyes choisit de retranscrire son histoire à travers les comptes rendus de son personnage principal. Nous sommes au cœur de ses pensées, de ses réflexions et de ses émotions
Mes vrais enfants de Jo Walton
Née en 1926, Patricia Cowan finit ses jours dans une maison de retraite. Très âgée, très confuse, elle se souvient de ses deux vies. Dans l’une de ces existences, elle a épousé Mark, avec qui elle avait partagé une liaison épistolaire et platonique, un homme qui n’a pas tardé à montrer son véritable visage. Dans son autre vie, elle a enchaîné les succès professionnels, a rencontré Béatrice et a vécu heureuse avec cette dernière pendant plusieurs décennies. Dans chacune de ces vies, elle a eu des enfants. Elle les aime tous… Mais lesquels sont ses vrais enfants : ceux de l’âge nucléaire ou ceux de l’âge du progrès ? Car Patricia ne se souvient pas seulement de ses vies distinctes, elle se souvient de deux mondes où l’Histoire a bifurqué en même temps que son histoire personnelle. Souvent comparé au Choix de Sophie de William Styron, Mes vrais enfants est considéré comme le chef-d’oeuvre de Jo Walton.
Voilà, Jo Walton parvient subtilement à nous interroger sur notre existence à travers les histoires de Patricia. C’est un livre que je recommande chaudement, qui n’est pas classable et n’a pas à être classé, mais propose une expérience originale et unique.
Si vous aimez les romans policiers
La science-fiction peut également être le terrain de jeu de meurtres ambitieux et d’enquêteurs durs à cuire ! Le genre permet de faire intervenir des éléments inédits comme des espèces différentes ou du voyage dans le temps.
Émissaires des morts d’Adam-Troy Castro
Quand elle avait huit ans, Andrea Cort a été témoin d’un génocide. Pire, après avoir vu ses parents massacrés, elle a rendu coup pour coup. En punition de ses crimes, elle est devenue la propriété perpétuelle du Corps diplomatique. Où, les années passant, elle a embrassé la carrière d’avocate, puis d’enquêtrice pour le bureau du procureur.
Envoyée dans un habitat artificiel aussi inhospitalier qu’isolé, où deux meurtres viennent d’être commis, la jeune femme doit résoudre l’affaire sans créer d’incident diplomatique avec les intelligences artificielles propriétaires des lieux. Pour ses supérieurs, peu importe quel coupable sera désigné.
Mais les leçons qu’Andrea a apprises enfant ont forgé l’adulte qu’elle est devenue : une femme pour le moins inflexible, qui ne vit que pour une chose, « combattre les monstres ».
Émissaires des morts est une excellente lecture. Dans un premier temps, l’univers adopte un point de vue singulier, en présentant les humains comme une espèce belliqueuse qui provoque surtout la méfiance chez les autres espèces. L’aspect des enquêtes renforce un univers loin d’être exempt de racisme ou de conflits, et montre également une grande maîtrise de la part d’Adam-Troy Castro des codes des romans policiers et thrillers judiciaires. Cela se remarque à travers un personnage principal nuancé et torturé, mais avec assez de singularité pour ne pas être un cliché. Autre point réjouissant, l’auteur dévoile une SF fondée sur des aspects anthropologiques et sociologiques : tout est affaire de communication inter-espèces, compréhension des traditions et des croyances, mais aussi relations entre ces différentes espèces.
Terminus de Tom Sweterlitsch
« – Tout ce que je vous enseigne, tout ce que vous verrez, doit aider notre espèce à tracer ce chemin, à éviter le Terminus.Qu’est-ce que je verrai d’autre ?
– La fin de tout. »
Depuis le début des années 80, un programme ultrasecret de la marine américaine explore de multiples futurs potentiels. Lors de ces explorations, les agents temporels ont situé le Terminus, la destruction de toute vie sur terre, au XXVIIe siècle.
En 1997, l’agent spécial Shannon Moss du NCIS reçoit au milieu de la nuit un appel du FBI : on la demande sur une scène de crime. Un homme aurait massacré sa famille avant de s’enfuir. Seule la fille aînée, Marian, dix-sept ans, serait vivante, mais reste portée disparue.
Pourquoi contacter Moss ? Parce que le suspect, Patrick Mursult, a comme elle contemplé le Terminus… dont la date s’est brusquement rapprochée de plusieurs siècles.
Terminus est vraiment un roman addictif qui propose une version du voyage dans le temps crédible et passionnante. Taillé aussi bien pour les amateurs de SF que pour les gros lecteurs de thriller, le récit parvient à équilibrer le meilleur des deux pour proposer un roman marquant.
Si vous aimez le Young Adult
La littérature plus axée à une jeune public peut tout à fait vous servir de porte d’entrée. Ou vous pouvez, si vous êtes fans du young adult contemporain, vous lancer dans de la SF Young Adult qui contient souvent des thématiques similaires.
Vers les étoiles de Brandon Sanderson
Installés sur la planète Détritus depuis des décennies, les derniers survivants de l’espèce humaine tentent de résister aux attaques répétées des Krell, un mystérieux peuple extraterrestre. Dans ce monde rythmé par les batailles spatiales, les pilotes sont vénérés comme des héros et font frissonner les nouvelles générations prêtes à en découdre. Parmi eux, Spensa rêve depuis l’enfance de piloter son propre vaisseau et de prouver son courage.
Car elle est la fille d’un lâche. Son père, l’un des meilleurs pilotes de la Force de Défense Rebelle, a été exécuté lors de la bataille d’Alta après avoir déserté le combat, et cet héritage pourrait bien coûter à Spensa sa place au sein de l’école de pilotage.
Plus que jamais déterminée à voler, elle redouble d’effort pour trouver sa place au sein d’une escouade de pilotes et convaincre sa hiérarchie que la lâcheté n’est pas héréditaire. Sa découverte accidentelle d’un vaisseau depuis longtemps oublié pourrait bien changer la donne…
Sans être le meilleur Sanderson, Skyward remplit sa part du contrat en proposant un récit bien construit et efficace. Malgré des bases déjà vues et une écriture assez simple par moments, le récit nous offre des scènes d’action immersives ainsi que des personnages et un worldbuilding qui disposent de profondeurs insoupçonnées. Le roman équilibre parfaitement drame, humour et action et saura séduire son public, même hors des inconditionnels de space opera.
Phobos de Victor Dixen
Six prétendantes, six prétendants. Six minutes pour se rencontrer. L’éternité pour s’aimer.
Ils sont les douze astronautes du programme Genesis, l’émission de speed-dating la plus folle de l’Histoire, destinée à créer la première colonie humaine sur Mars. Léonor est l’une d’entre eux. Elle a signé pour la gloire. Elle a signé pour l’amour. Elle a signé pour un aller sans retour…
Phobos est un roman efficace qui reprend les codes du speed dating, mais dans l’espace. Les personnages ont tous des personnalités propres et certains sont vraiment attachants. Le roman plaira très certainement aux lecteurs de romance, même s’ils ne sont pas fans de science-fiction ou ne connaissent pas le genre, malgré des clichés très présents.
Si vous aimez l’histoire
A travers l’uchronie ou le voyage dans le temps, la science-fiction explore le volet historique de la pensée humaine. Pour le premier, le concept part d’une idée simple : on explore un monde durant lequel il y a eu un point de déviation décisif qui a changé l’histoire à jamais, créant un monde différent de celui que l’on connait. Le second est bien plus transparent et consiste en des personnages qui visitent d’autres époques.
L’homme qui mit fin à l’histoire de Ken Liu
Futur proche. Deux scientifiques mettent au point un procédé révolutionnaire permettant de retourner dans le passé. Une seule et unique fois par période visitée, pour une seule et unique personne, et sans aucune possibilité pour l’observateur d’interférer avec l’objet de son observation. Une révolution qui promet la vérité sur les périodes les plus obscures de l’histoire humaine. Plus de mensonges. Plus de secrets d’État. Créée en 1932 sous mandat impérial japonais, dirigée par le général Shiro Ishii, l’Unité 731 se livra à l’expérimentation humaine à grande échelle dans la province chinoise du Mandchoukouo, entre 1936 et 1945, provoquant la mort de près d’un demi-million de personnes… L’Unité 731, à peine reconnue par le gouvernement japonais en 2002, passée sous silence par les forces d’occupation américaines pendant des années, est la première cible de cette invention révolutionnaire. La vérité à tout prix. Quitte à mettre fin à l’Histoire.
Ken Liu fait montre d’une grande maîtrise du format court en présentant cette œuvre d’une grande richesse qui traite en peu de mots des problématiques complexes. Via la retranscription précise du documentaire, il alterne différentes formes et narrations qui ajoutent de l’intensité à son propos. Et Dieu sait que ce propos est puissant. L’auteur parle du rôle de l’histoire et la mémoire dans la construction des individus, et de la puissance destructrice du négationnisme.
Underground airlines de Ben H. Winters
Amérique. De nos jours. Ou presque.
Ils sont quatre. Quatre États du Sud des États-Unis à ne pas avoir aboli l’esclavage et à vivre sur l’exploitation abjecte de la détresse humaine. Mais au Nord, l’Underground Airlines permet aux esclaves évadés de rejoindre le Canada. Du moins s’ils parviennent à échapper aux chasseurs d’âmes, comme Victor. Ancien esclave contraint de travailler pour les U.S. Marshals, il va de ville en ville, pour traquer ses frères et soeurs en fuite. Le cas de Jackdaw n’était qu’une affaire de plus… mais elle va mettre au jour un terrible secret que le gouvernement tente à tout prix de protéger.
Un roman d’une brûlante actualité qui explore sous le faisceau de l’uchronie une Amérique bien trop familière…
c’est un bon cru. Je commençais à désespérer de trouver des dystopies qui soient originales. Underground Airlines parvient à échapper aux tropes les plus répétitifs du sous-genre pour proposer une histoire avec une critique acérée des problématiques raciales aux Etats-Unis mais aussi sur la fragilité de l’histoire et de la tolérance. Monde immersif et bien pensé, personnages bien construits et scénario mené de main de maître, c’est un récit marquant que je vous conseille !
Le maître du haut-château de Philip K. Dick
1948, fin de la Seconde Guerre mondiale et capitulation des Alliés. Vingt ans plus tard. dans les Etats-Pacifiques d’Amérique sous domination nippone, la vie a repris son cours. L’occupant a apporté avec lui sa philosophie et son art de vivre. A San Francisco, le Yi King, ou Livre des mutations, est devenu un guide spirituel pour de nombreux Américains, tel Robert Chidan, ce petit négociant en objets de collection made in USA.
Ce petit livre de l’auteur est dépaysant. Le livre est court, l’écriture froide et les personnages réalistes dans être sympathiques. La multiplicité des points de vue offre une vision assez complète de cette alternative de l’histoire. Construit intelligemment, le livre est traversé par des références au Yi-King ou à une uchronie dans l’uchronie qui questionne brillamment notre rapport à l’historicité.
Ces romans sont tous plutôt faciles d’accès et jonglent entre les genres pour proposer une expérience de lecture qui peut convenir à de nombreux lecteurs. Avez-vous découvert la science-fiction avec un livre en particulier ?
11 commentaires
Light And Smell · 13 février 2021 à 20 h 55 min
Je lis peu de SF, et j’avoue avoir mis de côté de me frotter, pour le moment, aux gros classiques du genre, un peu trop impressionnant pour commencer… Du coup, j’apprécie ta sélection 🙂 Je n’ai lu Skyward auquel j’ai bien accroché…
La Geekosophe · 21 février 2021 à 9 h 22 min
Skyward était vraiment chouette ! Brandon Sanderson a quand même le don exceptionnel de rarement être à côté, j’ai hâte de voir la suite 🙂
Light And Smell · 21 février 2021 à 18 h 18 min
Moi de même 🙂
Ma Lecturothèque · 14 février 2021 à 20 h 15 min
« Mes vrais enfants » est génial ! Tu m’avais conseillé « L’unité » pour un challenge (le Hold My SFFF, si je me souviens bien) et j’avais beaucoup aimé
La Geekosophe · 21 février 2021 à 9 h 20 min
L’unité m’avait été conseillé par un autre lecteur de SF, j’ai l’impression que c’est un roman qui reste assez confidentiel !
Ma Lecturothèque · 21 février 2021 à 17 h 34 min
J’espère qu’il finira par se faire plus connaître – le bouche-à-oreille et les blogs sont de bons débuts ^^
Yuyine · 15 février 2021 à 18 h 14 min
Très chouette article! Je te rejoins complètement sur les conseils, notamment celui de ne pas conseiller les classiques pour démarrer.
La Geekosophe · 21 février 2021 à 9 h 20 min
Je m’y étais cassé les dents haha
L'ourse bibliophile · 16 février 2021 à 15 h 05 min
Super article ! Je n’ai lu que Des fleurs pour Algernon qui est fabuleux, mais Mes vrais enfants est dans ma PAL et j’avais repéré L’unité et L’homme qui mit fin à l’histoire il y a un moment. Par contre, bien que loin d’être une experte du genre, j’ai lu plusieurs classiques et, de mon point de vue, Le maître du haut-chateau est l’un des plus barbants que j’ai pu lire ! ^^
La Geekosophe · 21 février 2021 à 9 h 19 min
Ah moi j’avais bien aimé Le maître du hait château, même s’il n’est pas le plus palpitant du siècle ! En tout cas j’approuve évidemment tous tes choix
L'ourse bibliophile · 21 février 2021 à 11 h 56 min
J’avoue que je suis complètement passée à côté de ce titre… L’histoire m’emballait énormément, mais… non. Et les références au Yi-King m’ont laissée de marbre (je me demande si j’y avais pigé quelque chose en fait… ^^). Bref, tant pis pour moi et tant mieux pour toi !