Merci à Gilles Dumay de la collection Albin Michel Imaginaire pour l’envoi ! J’aime beaucoup l’œuvre d’Estelle Faye, et Widjigo m’intriguait, que ce soit par le résumé ou par la couverture. J’aime les histoires de monstres et de survie, le genre qui nous pousse à nous poser des questions sur notre humanité… Alors, qu’en ai-je pensé ?

Synopsis de Widjigo

En 1793, Jean Verdier, un jeune lieutenant de la République, est envoyé avec son régiment sur les côtes de la Basse-Bretagne pour capturer un noble, Justinien de Salers, qui se cache dans une vieille forteresse en bord de mer. Alors que la troupe tente de rejoindre le donjon en ruines ceint par les eaux, un coup de feu retentit et une voix intime à Jean d’entrer. À l’intérieur, le vieux noble passe un marché avec le jeune officier : il acceptera de le suivre quand il lui aura conté son histoire. Celle d’un naufrage sur l’île de Terre-Neuve, quarante ans plus tôt. Celle d’une lutte pour la survie dans une nature hostile et froide, où la solitude et la faim peuvent engendrer des monstres…

Un roman de survie glaçant et immersif

Un monde sauvage et dangereux

Estelle Faye nous offre une œuvre distincte de ses précédents romans : elle place son histoire aux débuts de la conquête américaine, quand le continent était encore peu connu. Au temps où les européens commençaient à annihiler les populations natives et où les quelques villes étaient surtout peuplées d’aventuriers, nobles déchus et autres rebuts de la société venus trouver un monde meilleur. C’est dans cette atmosphère spécifique qu’un groupe de personnes qui n’ont a priori pas grand chose en commun, hormis le fait de vivoter sur ces terres vierges en train d’être forcées vers la civilisation, est réuni pour trouver disparu.

Après un naufrage, ils se retrouvent sur l’Île de Terre-Neuve,territoire du Canada, un lieu qui n’est peuplé à l’époque que par un clan, les Béothuks, retiré dans les Terres. Dès lors, notre groupe doit survivre dans une forêt, abandonnés de tous. Les dangers sont nombreux : la faim, la soif et la folie guettent les survivants, mais aussi les loups, et eux-mêmes. Bientôt, des morts étranges réduisent le nombre des survivants, provoquant dans le même temps une paranoïa aigüe. A qui peut-on faire réellement confiance ? Qui sont les vrais monstres ? Et s’ils ne s’étaient pas retrouvés par hasard sur cette île aux allures de purgatoire ?

Une ambiance pesante, bâtie de main de maître

Widjigo nous entraîne donc dans un huis-clos qui s’inscrit dans un premier temps comme survivaliste. Au début, on a l’impression que le danger vient surtout des conditions difficiles imposées par une terre peu foulée par les hommes et par des personnes soumises à la faim. Le fantastique est d’abord assez discret, avec quelques touches, mais gagne en intensité au fil des pages. En effet, on a du mal la distinguer le délire de certains personnages de la réalité. Justinien, le narrateur, est le principal confident du prêtre qui semble sombrer dans la folie, tandis que la fille dudit prêtre a un comportement de plus en plus excentrique. On se questionne sur la réalité des événements, d’autant plus que la forêt humide est un décor pour le moins angoissant qui donne lieu à nombre de visions dérangeantes.

Cauchemars et violences rythment le récit, avec une magie et un fantastique qui deviennent de plus en plus présents. Sans trop en révéler, l’autrice s’inspire aussi bien des croyances des peuples natifs, mais aussi des procès pour sorcellerie à l’époque. En effet, le roman a lieu à peu près à la même époque que les procès des sorcières de Salem, et certains éléments y font directement référence. La plume de l’autrice donne parfaitement vie à ces éléments mystiques, la lecture est très immersive et je vous conseille de la lire d’une traite pour vous plonger pleinement dans l’ambiance délicatement horrifique qui s’installe.

Des personnages variés hantés par la culpabilité

L’autre force du roman réside en ses personnages. Estelle Faye met en scène des personnes abimées par la vie. De la métisse franco-algonquine, en passant par le noble désargenté et l’explorateur unique survivant, chacun d’eux est hanté par un passé très lourd. Justinien, puisque nous avons son point de vue, nous immerge régulièrement dans ses cauchemars à propos de son passé qui semble de plus en plus prendre corps dans son présent. Les autres personnages viennent à se confier sur leur vie aux événements parfois dévastateurs.

On s’aperçoit dès lors que le roman a pour thème la culpabilité mais aussi la vengeance. Des sujets qui prennent un sens particulier dans cette nature sauvage, qui rapprochent les personnages d’un statut quasiment animal, mais aussi qui modélisent les sentiments en des menaces réelles et palpables. La question est finalement de savoir si on se débarrasse jamais de la culpabilité et de violence de son passé, et de savoir si le cercle de la vengeance ne finit jamais par se briser.

Widjigo est un roman intense et marquant

Widjigo est, vous l’aurez compris, une réussite. Estelle Faye prend le temps de créer une ambiance pesante, entre horrifique et survie, pour mieux mettre ses personnages face à leur propre (in)humanité. Conte de vengeance et de culpabilité, le roman utilise des mythes des populations natives et les rumeurs de sorcellerie de la découverte des Amériques pour mieux glisser dans le fantastique, de plus en plus au fil des pages. Chaque personnage a une personnalité fouillée, mais aussi un lourd poids à porter qu’ils dévoilent tandis qu’ils s’enfoncent dans le forêt et la violence. Le tout est porté par une écriture hypnotique.

Note : 17/20

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Catégories : Chroniques

7 commentaires

Yuyine · 5 novembre 2021 à 11 h 12 min

J’ai adoré ce livre et quelques semaines après il me hante encore. L’ambiance, les personnages, la montée en tension progressive… un grand roman horrifique!

    La Geekosophe · 6 novembre 2021 à 14 h 52 min

    Ah oui, c’était vraiment au top, surtout pour octobre 🙂

Elhyandra · 14 novembre 2021 à 16 h 40 min

Wahou, il a l’air absolument formidable, j’a refusé le SP par manque de temps mais je le lirai un de ces jours c’est certain

    La Geekosophe · 19 novembre 2021 à 12 h 35 min

    Franchement, c’est délicieux :p

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