J’arrive enfin au bout d’une de mes plus grosses lectures du mois ! Avec plus de 1000 pages de narration complexe et d’univers déstabilisant, Mariam Petrosyan ne facilite pas la vie de son lecteur. La maison dans laquelle est une œuvre dense et envoûtante, présentée dans le magnifique écrin conçu par les éditions Toussaint Louverture.
Synopsis de La maison dans laquelle
Dans la Maison, vous allez perdre vos repères, votre nom et votre vie d’avant. Dans la Maison, vous vous ferez des amis, vous vous ferez des ennemis. Dans la Maison, vous mènerez des combats, vous perdrez des guerres. Dans la Maison, vous connaîtrez l’amour, vous connaîtrez la peur, vous découvrirez des endroits dont vous ne soupçonniez pas l’existence, et même quand vous serez seul, ça ne sera jamais vraiment le cas. Dans la Maison, aucun mur ne peut vous arrêter, le temps ne s’écoule pas toujours comme il le devrait, et la Loi y est impitoyable. Dans la Maison, vous atteindrez vos dix-huit ans transformé à jamais et effrayé à l’idée de devoir la quitter.
Vous ne sortirez pas de la maison indemne
Une ode à l’enfance
Si vous ne le savez pas, j’aime beaucoup les histoires qui se passent du point de vue des enfants et des ados. Surtout les histoires qui mêlent le fantastique au réal. La maison dans laquelle est totalement dans cet esprit. Quasiment tous ses personnages sont des ados et des enfants envoyés dans la Maison, à première vue une pension pour enfants et adolescents en situation de handicap. Mais la vieille baraque semble dissimuler bien des secrets dont ses pensionnaires sont les dépositaires. Divisés en chambres qui se composent en clans qui ont chacun des comportements bien définis, les enfants vivent une existence selon leurs propres règles, et n’ont cure de celles des adultes. Ainsi, ils fondent une société hors de l’Extérieur, avec ses propres rites et croyances, ses chefs, ses traditions, conflits et ses événements.
C’est un tableau étonnant. Les enfants ayant des handicaps variés, ils forment une communauté étrange, presque sauvage. Certains d’entre eux sont dotés de dons particuliers. Certains peuvent fabriquer des grigris et des amulettes. D’autres sont capables de « tomber » dans un univers parallèle dans lequel ils s’incarnent dans une autre forme. Un univers parallèle régie par des règles ésotériques floues. Pour en comprendre les rouages, il faut être capable de se mettre à hauteur d’enfants. D’en comprendre les rouages et les drames. De comprendre le fond des choses et la vraie nature des objets. La maison dans laquelle est un hommage à l’enfance, ce moment où l’on erre entre rêve et réalité. Un hommage au moment où l’on grandit et qu’on quitte souvent dans la douleur.
Dualité et isolement
En lisant le roman, deux notions complémentaires mais antithétiques me sont venues à l’esprit. La première était que la dualité était très présente à travers l’histoire. Dans un premier temps, la Maison se scinde en deux mondes distincts. La bâtisse elle-même, décrépie, sombre et ancienne, et la Forêt, endroit sauvage et magique parcouru par les tombeurs. Les enfants partagent deux identités. Celle de la maison, où ils sont de jeunes handicapés évoluant en bandes dans un ordre qui semble chaotique aux adultes. Puis celle de la Forêt, dans laquelle ils deviennent autre chose, peuvent perdre leur handicap et au contraire gagner en pouvoir. Roux est par exemple une incarnation de la mort et Chacal Tabaqui un être ancien qui maîtrise de temps. Les enfants font face aux adultes, éducateurs et professeurs, omniprésents et absents à la fois. De la même façon, il y a la Maison, présentée comme un foyer étrange mais rassurant et familial, face à l’Extérieur.
L’isolement de la Maison est total mais pas littéral. Il arrive que les famille rendent visite. En revanche, l’Extérieur est perçu comme particulièrement nocif par les pensionnaires. Le départ de la Maison est vécu comme un drame tel que l’on cherche à dissimuler la date exacte de ce dernier. Pourquoi ? Les événements sont décrits à petites touches de manière imprécise, mais un drame sanglant a frappé l’un des précédents départs. La plupart des enfants tentent de se suicider à l’approche de leurs 18 ans et de la perspective de quitter la Maison. Est-ce un effet magique de sa part ? Ou est-ce que les jeunes, atteints de handicap, grandis dans un monde façonné par eux pour eux, ont conscience de la cruauté qu’ils vont rencontrer à l’Extérieur ? Isolés dans la Maison, isolés par leur différence, isolé par leur famille.
Personnages foutraques dans une intrigue non-linéaire
Vous l’aurez compris, la maison est un bordel. Un bordel strict, mais un bordel. C’est d’abord représenté par ses personnages. On suit le quatrième groupe, composé d’individus hétéroclites à personnalités fortes et disparates. L’Aveugle, chef charismatique qui tombe facilement de l’autre côté, aux motivation étranges et incompréhensibles. Sphinx, avec ses prothèses, ami d’enfance de l’aveugle. Fumeur, l’un des derniers arrivés, raisonnable roulant un peu trop cartésien pour la maison. Chacal Tabaqui, instable et volubile, mais très puissant de l’autre côté. On suit énormément de personnages variés dont on explore parfois le passé ou les relations. Les enfants sont, dans tous les cas, toujours des excentriques, entre l’adolescent et l’adulte, coincés dans un entre-deux, deux mondes, deux états, jamais fixes.
C’est renforcés par une narration trouble. Parfois, on change de narrateur et de point de vue au beau milieu de chapitre. Si on concentre au début sur Fumeur, évincé des faisans, on découvre petit à petit les autres membres du Groupe. Parfois même, c’est dans l’esprit de Ralf, alias R premier, un éducateur et seul adulte à se mettre à hauteur des pensionnaires, que nous suivons. Mariam Petrosyan joue également avec les temporalités et brouille les pistes. Ce qui est amusant, c’est que ce jeu de temporalité existe au niveau du lecteur que de manière diégétique, comme un écho ludique qui remet la réalité en question. L’intrigue est floue, presque inexistante, mais il y aune telle poésie et une telle honnêteté dans cet objet littéraire, que la fascination finit toujours par naître.
La maison dans laquelle offre un moment de lecture aussi atypique qu’admirable
La maison dans laquelle, c’est l’histoire de l’enfance et de son étrangeté. La maison est une pension pour enfants atteints de handicaps, ou serait-elle bien plus ? Les pensionnaires sont divisés en bandes répartis dans leur chambre. Ils vivent selon leurs propres lois et leurs propres règles, et font bien peu de cas des adultes. Rites de transmission, guerres intestines entre les clans, la Maison regorge de dangers. Nous suivons en particulier le groupe 4, composé de personnalités hétéroclites mais marquantes. Le livre alterne entre plusieurs points de vues pour présenter une réalité multiple qui se recoupe, et rend parfois la lecture ardue. L’ambiance est indescriptible. On a l’impression d’entrer dans un monde ancien et sacré, entre violence et poésie. C’est vraiment un indispensable si vous aimez les romans qui nous entraînent dans des mondes dominés par des ados et des enfants, avec leur propre logique, à la fois cruelle et enivrante.
Note : 18/20
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6 commentaires
Brize · 30 septembre 2022 à 15 h 30 min
C’est un sacré morceau et je n’ai pas encore osé m’y lancer, sachant qu’il n’y a pas vraiment d’intrigue…
La Geekosophe · 30 septembre 2022 à 20 h 28 min
Arf, il devait être parmi les pavés de l’été mais je l’ai fini trop tard… Les lecteurs trop cartésiens ne devraient pas apprécier son côté foutraque et inclassable 😉
Shaya · 12 octobre 2022 à 13 h 36 min
Les thématiques, notamment celle du handicap, m’intéressent beaucoup, mais je ne pense pas que le côté foutrage passe chez moi, malheureusement ^^
La Geekosophe · 15 octobre 2022 à 23 h 46 min
Soit on l’adore soit on accroche pas à celui-là !
Pauline · 9 novembre 2022 à 16 h 22 min
Ce livre a été un véritable coup de cœur et l’impression qu’il a laissé sur moi depuis sa lecture ne s’est pas estompée. Je cherche depuis un ouvrage qui se rapprocherait de cette ambiance si particulière. Auriez-vous des livres similaires à conseiller (pas nécessaire sur les thèmes abordés mais plutôt dans l’impression de lecture) ? Merci beaucoup pour cette chronique !
La Geekosophe · 10 novembre 2022 à 19 h 33 min
Oui, c’est une de mes grosses lectures marquantes de l’année ! Je ne les ai pas lus, mais j’ai entendu des commentaires similaires sur Vita Nostra de Sergey et Marina Diatchenko, ainsi que sur la maison des feuilles de Mark Danielewski 🙂