Notre part de nuit de Mariana Enriquez m’attendait depuis un bout de temps dans ma Pile à Lire. Ce roman avait tout pour m’attirer dès sa sortie, puisqu’il s’agit d’un récit gothique et horrifique d’une autrice d’Amérique du Sud. On y lit donc une histoire qui mêle saga familiale et Histoire de l’Argentine.

Synopsis de Notre part de nuit

Un père et son fils traversent l’Argentine par la route, comme en fuite. Où vont-ils ? À qui cherchent-ils à échapper ?

Le petit garçon s’appelle Gaspar. Sa mère a disparu dans des circonstances étranges. Comme son père, Gaspar a hérité d’un terrible don : il est destiné à devenir médium pour le compte d’une mystérieuse société secrète qui entre en contact avec les Ténèbres pour percer les mystères de la vie éternelle.

Un sombre poison familial

Gothique et dérangeant

S’il y a bien quelque chose qui m’a marqué dans cette lecture, c’est sa puissante atmosphère dérangeante. Mariana Enriquez nous plonge dans la fuite d’un père et de son fils, qui cherchent à échapper à l’influence malsaine d’une secte cherchant à les instrumentaliser pour acquérir de nouveaux pouvoirs. Puissants médiums, ils ont liés aux univers des morts et à l’Obscurité, Ténèbres toutes puissantes qu’ils sont capables d’invoquer. L’autrice parvient à construire des ambiances aussi néfastes qu’entêtantes à travers un ésotérisme dérangeant et organique. Sa plume transmet ces aspects grâce à un vocabulaire macabre, bien sûr, un ésotérisme sanglant et des séquences de body horror bien maîtrisées. Dans le Culte, il n’est pas rare d’avoir des cicatrices ou de manquer de membres suite à des Séances. Les membres les plus influents ont des méthodes de communication avec les Ténèbres qui impliquent la torture, notamment d’enfants. Un passage dans une maison hantée m’a également fait forte impression.

Cela se traduit à travers les personnages. Aucun n’est spécialement attachant, hormis peut-être Gaspar, et encore. Sa relation avec son père, Juan, est une pierre angulaire du récit. Mais, comme le reste du roman, elle a des aspects malsains avec lesquels j’ai eu du mal, notamment la violence parfois gratuite. Je l’ai tout de même compris comme étant la manifestation d’un trauma générationnel que Gaspar doit parvenir à briser, il doit mettre fin au cycle. Car dans sa famille, la violence se transmet de génération en génération comme une maladie invasive et tenace. Toutes les relations du roman sont marquées par un mélange trouble entre amour, déception et conflit. Dommage que certains personnages, comme Mercedes, manquent de nuances comme le reste du casting, tant elle semble au-delà de toute rédemption et cartoonesque dans son manque de pitié.

Un parallèle avec l’histoire de l’Argentine

Difficile de ne pas évoquer la place de l’histoire torturée de l’Argentine. Une grande partie de l’histoire se passe sous la dictature, le roman est traversé d’une grande tension. La présence militaire est renforcée, d’où le fait que Juan et Gaspar voyagent en voiture pour rester discrets. La révolution est abordée de manière très frontale à plusieurs reprises, notamment à travers des personnages qui la vivent directement ou y tiennent une participation active. Les deux familles les plus importantes de la Secte que fuit le duo Père fils sont issues de Grande-Bretagne, mais sont également de riches propriétaires terriens. Anglophones, en quêtes d’immortalité, ils instrumentalisent de nombreux médiums, souvent issus de populations pauvres (Afrique, immigrés suédois…), pour atteindre l’immortalité. Le parallèle avec la colonisation est évident, mais en même temps assez subtil et dérangeant. En un sens, la violence de la Secte fait écho à la violence dans le réel.

Ce lien avec l’histoire est porté par un récit qui met en scène plusieurs points de vue et plusieurs époques. Plusieurs médiums aussi, car il semble que le passé fasse sans cesse irruption dans le présent. Les morts viennent hanter les vivants. Il y aussi les disparus. Les disparus du Culte, enlevés par l’Obscurité insondable avide de sacrifices humains, et les disparus de la Guerre Civiles, que les mères cherchent sans relâche dans les fosses anonymes. Ainsi, le cheminement de Gaspar, le long chemin de la guérison face à la violence, est un parallèle à celui de tout un pays. Un pays hanté, parfois amnésique, parfois aux souvenirs aigus, mais qui tente d’aller vers l’apaisement et le progrès. Et si la guérison passait par l’acceptation ?

Notre part de nuit, un récit intrigant

Notre part de nuit de Mariana Enriquez ne manque pas d’arguments en sa faveur ! C’est un récit horrifique glaçant, mêlant ésotérisme et body horror. L’autrice y ajoute une touche historique, le parallèle entre les victimes de la secte vénérant l’Obscurité et la dictature argentine est clair. De plus, l’écriture macabre de l’autrice apporte une ambiance vraiment unique, revisitant les classiques du récit d’horreur. Malgré cela, j’ai eu un peu de mal avec la relation père / fils, dont les aspects les plus violents m’ont laissé avec un profond malaise. De même, il y a quelques longueurs qui ont rendu mon avancée parfois laborieuse.

Note : 16/20

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Le roman compte 768 pages et entre donc largement dans le défi du pavé de l’été.

pavé de l'été 2023
Catégories : Chroniques

9 commentaires

Sibylline · 23 août 2023 à 20 h 10 min

Brrr ! Un petit frisson ne fait pas de mal par les temps qu’on a 😉

    La Geekosophe · 12 septembre 2023 à 23 h 59 min

    C’est sûr que c’est très automnal comme lecture 😀

Brize · 25 août 2023 à 8 h 50 min

De mon côté, c’est un pavé que j’avais dévoré sans mal et qui m’a laissé son empreinte.

    La Geekosophe · 12 septembre 2023 à 23 h 59 min

    J’ai des chroniques de personnes qui ont adoré et d’autres qui n’ont pas accroché ! Mais c’est sûr que c’est une lecture marquante

Shaya · 9 septembre 2023 à 18 h 02 min

Il est dans ma PAL et n’attend plus que d’être lu !

    La Geekosophe · 12 septembre 2023 à 0 h 03 min

    Il est resté longtemps dans la PAL de plein de gens mais je l’ai vu beaucoup chroniqué cette année !

Parlons fiction · 28 septembre 2023 à 23 h 06 min

J’ai vraiment eu du mal avec cette lecture, bien qu’elle soit marquante à sa façon. Je pense que ce n’était pas une lecture pour moi, les longueurs m’ont ennuyé et je ne suis pas une fan de body horror. Pour autant, je suis quand même contente d’avoir essayé de comprendre le phénomène autour de ce livre !

    La Geekosophe · 29 septembre 2023 à 21 h 34 min

    Pareil, je comprends les qualités et c’est pourtant le genre de lecture que je devrais beaucoup apprécier !

Mariana Enriquez - Notre part de nuit - Zoé prend la plume · 28 août 2023 à 7 h 00 min

[…] avis : Yuyine a trouvé le temps long; lecture en demi-teinte pour Lhisbei; La Geekosophe a ressenti beaucoup de malaise dans la relation père-fils dépeinte; même sentiment […]

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