Sirène debout : Ovide rechanté de Nina MacLaughlin fait partie des romans qui m’ont été conseillé pour cette année. Je ne connaissais pas du tout cette réécriture des métamorphoses d’Ovide. Cet ensemble de texte rejoint toute une tendance des réécritures de contes de manière plus contemporaine et féministe, avec un point de vue centré sur les femmes, voix souvent oubliées des textes antiques.
Synopsis de Sirène debout, Ovide rechanté
« Ça, c’est le taureau en train de violer Europe…
Ça, c’est l’aigle avant qu’il agresse Astérie,
l’arrachant à la terre de ses griffes.
Ça, c’est Léda broyée sous un cygne. »
Elles s’appellent Arachné, Callisto, Écho, Méduse, Scylla, Eurydice. Cela fait deux mille ans qu’elles sont victimes du jeu des dieux et des hommes, prisonnières du récit mythique des Métamorphoses, racontées, transformées, brutalisées. Pour la première fois, elles prennent la parole..
Entre antiquité et monde contemporain
Chante le désespoir des oubliées
Les métamorphoses d’Ovide déborde d’histoires dans lesquelles les hommes poursuivent les femmes. Cependant, rarement la parole est donnée à ses vaincues, violentées et humiliées. Nina MacLaughlin rétablit l’équilibre à travers une série de textes rédigés du point de vue de ces femmes. Se faisant, elle souligne d’autant plus les injustices et la violences des sévices à travers une écriture crue. Ainsi, beaucoup de ces femmes ne sont que les instruments d’une vengeance entre les dieux, pour des questions d’honneur ou d’arrogance. Une jeune nymphe se retrouve poursuivie par Phoebus, une femme d’une grande beauté est violée dans un temple de Minerve par Neptune… Autant d’éléments qui rétablissent la réification cruelle des femmes dans ces histoires antiques, qui deviennent des objets. Objets de désir, de discorde.
Elles sont souvent réduites au silence. L’autrice travaille beaucoup sur les dialogues et la langue. La plupart des dieux et des hommes n’écoutent pas. Ils imposent leur luxure, leur vision. Dans l’un des textes, c’est Hécube elle-même, ancienne reine de Troie, qui raconte son histoire. Alors qu’un interprète traduit ses paroles, il refuse à plusieurs reprises de partager ses mots, jugés trop violents pour l’audience. Même quand on leur donne la parole, les femmes ne peuvent pas entièrement partagé leur expérience. Le crime d’une femme est forcément contre-nature et monstrueux, condamnant à toujours être la coupable et la perdante.
Une forme audacieuse qui explicite trop le fond ?
Sirène, debout : Ovide rechanté est un ensemble de textes qui mise sur une forme audacieuse appréciable. L’autrice exploite de nombreuses formes différentes pour apporter de la variété et de la force à ses écrits. Echanges de mails, témoignage d’une intéressée, poèmes… Les choix esthétiques sont suprenants. Nina MacLaughlin choisit de transposer la plupart des mythes dans un univers très contemporain, notamment à travers la langue. Le vocabulaire est souvent direct, brut, vulgaire, et bouillonne de rage contenue. Cela permet de bien transmettre les sentiments des personnages et des narratrices. Mais aussi de plus facilement faire le parallèle avec la condition féminine aujourd’hui, tant certaines invectives rappellent le harcèlement de rue.
Cependant, ce choix fait parfois perdre un peu de subtilité aux histoires et aux personnages. Disons que j’ai trouvé ce procédé un peu simpliste par moments, quand plus de sensibilité aurait apporté plus d’émotions. J’avais cette impression diffuse que le roman en faisait « trop ». Ainsi, je n’ai pas accroché à certains textes dont le niveau de langue était trop vulgaire, ou quand le contexte trahissait l’histoire originelle, comme celui sur Eurydice. Ceci dit, ce n’est pas le cas de toutes les histoires. Une fois de plus, j’ai beaucoup apprécié le monologue d’Hécube et son interprétation, qui offrent un jeu de transposition bien travaillé et original.
Sirène debout, Ovide rechanté, en texte original, puissant mais trop travaillé
Je ressors partagée de cette lecture. Il s’agit d’une série de textes écrits du point de vue des femmes des métamorphoses d’Ovide. Le récit se fait souvent viscéral et vengeur, ce qui lui donne une vraie force dans certains passages poignants. Cependant, j’ai parfois eu du mal avec le ton trop moderne de la plupart des récits, qui a diminué la force tragique de certains éléments, voire était parfois difficile à lire. J’admire toutefois la capacité de l’autrice à déployer des formes variées et innovantes pour remettre en scène ces histoires de manière créative. Sur certains passages, cette écriture viscérale et le jeu des différentes formes proposées confèrent une rage bouillonnante aux textes.
Note : 15/20
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