Merci à la masse critique et aux éditions Flammarion pour cet envoi ! La dictatrice avait attiré mon attention car il semblait construire une vision féminine du pouvoir totalitaire. J’avais déjà lu Le Pouvoir, qui manquait trop de subtilité pour me convaincre, je voulais retenter l’expérience avec une œuvre qui tombait moins dans la science-fiction pour se concentrer sur l’aspect politique de l’idée.

Synopsis de La Dictatrice

Depuis des années, on entend grogner la révolte sur le Vieux Continent. Un sentiment de rejet généralisé, l’impression pour beaucoup d’avoir été débarqués du progrès. Quand soudain, un violent orage éclate. Une femme se lève parmi la foule.
Munich, novembre 2023, une manifestation populaire. Aurore Henri se saisit d’un pavé et le lance au visage d’un chef d’État. Derrière son regard bleu magnétique, une volonté d’acier, un espoir fou, guérir les hommes de leurs tendances destructrices, bâtir une société nouvelle où règnent la paix et l’harmonie.

Un roman singulier au sujet bien traité

Une structure qui offre un dynamisme

J’ai d’abord beaucoup apprécié la structure du roman. Les chapitres sont très courts, ce qui marque bien l’aspect fulgurant de la montée en puissance d’Aurore Henri. Il m’a permis de lire le livre plus rapidement qu’escompté, mais aussi de renforcer un côté acéré, inéluctable. L’écriture en elle-même est directe et sans fioriture, sans états d’âmes, ce peut donner un sentiment de froideur qui pourrait gêner certaines lecteurs. Pour ma part, j’ai trouvé que cela s’accordait bien avec la personnalité du personnage principal.

J’ai cependant trouvé que la fin tirait un peu en longueur, ce qui était une sensation paradoxale puisque les événements s’enchaînent assez vite. Mais les principales idées sont concentrées en début et milieu de roman, la fin de la lecture étant consacrée à une chute certes finalement prévisible mais dotée d’une certaine force symbolique.

Une reconstitution minutieuse de la mise en place d’un totalitarisme

Le roman construit également une analyse du pouvoir qui ne manque pas d’intérêt. Diane Ducret confirme qu’elle s’y connait bien en ces questions. Le récit tourne principalement autour d’Aurore Henri, cette femme assez mystérieuse, ancienne reporter, qui se retrouve soudainement sur le devant de la scène dans un monde sans boussole. On a un premier ingrédient pour créer un régime policier : une figure centrale marquante et charismatique capable d’imposer son point de vue.

Ici, l’autrice fait ainsi référence à ses yeux perçants, envoûtants. Elle se présente rapidement sous la forme d’une icône quasi divine : elle aime le pouvoir, n’a pas beaucoup d’activités sexuelles comme une créature sacrée qui ne saurait être souillée par les bassesses de ce monde, elle cache ses maladies et ses douleurs… Aurore Henri a également une volonté de faire, une manière de construire ses discours grâce à une rhétorique sans faille. Elle parvient également à se placer comme un phare dans la nuit car le contexte s’y prête. Une Europe exsangue peine à survivre entre sécheresses, hiver rigoureux et relations tendues avec des voisins.

La création d’une idéologie essentialiste

J’ai également beaucoup apprécié découvrir les éléments structurants du régime imposé par Aurore Henri. Sa société est construite sur un féminisme essentialiste qui tient du paganisme, critique à peine voilée de la misogynie des grandes religions. La vulve est célébrée, les valeurs associées au féminin comme la compassion et le soin sont portées aux nues… Il y a toute une re-construction d’un Roman National (ou plus Européen) qui propose de se construire à l’inversion de l’ancien monde, phallique et aux valeurs masculines. Aurore se place donc comme fer de lance d’une société qu’elle souhaite plus égalitaire et qui repose sur des valeurs fortes, qu’elle regroupera sous la forme d’un mode de pensée appelée Eunomie.

Pour cela, elle refont totalement les institutions et les traditions. Des fêtes sont créées à l’honneur des étapes de la vie des jeunes filles. La plus importante est sans doute celle où les jeunes filles ont les premières règles, les menstruations sont toujours taboues voire diabolisées dans de nombreuses parties du monde. Les populations sont endoctrinées très tôt à vivre un mode de vie sain en accord avec les principes de la Nature, la gestion de la famille et de la reproduction est sévère (pas plus de deux enfants par famille…). le tout est orné d’un décorum insistant qui est inspiré des mystères romains.

Une fin et quelques éléments trop prévisibles

Mais bien sûr, la société d’Aurore Henri est loin d’être aussi idyllique qu’elle se l’imagine. Elle est liberticide. Les exécutions et punitions sont légion, la surveillance pour détecter ceux qui ne respectent pas les principes eunomiques abusives… Il est presque comique de voir qu’Aurore, sans sa paranoïa grandissante, s’étonne en enrage que tout le monde n’apprécie pas son nouvel éden. Toute cette construction est en tout cas très bien menée et pourrait être un manuel intitulé « comment construire un régime totalitaire fondé sur un culte de la personnalité en trois étapes ».

Mais j’ai tout de même trouvé quelques défauts . J’ai déjà évoqué quelques éléments à la fin qui étaient assez prévisibles, du coup j’ai plus survolé le final que vraiment lu. Ensuite, certaines images manquent un peu de subtilité dans la mise en place. On a par exemple les initiales d’Aurore Henri qui, avec les autres références appuyées au IIIe Reich, rendent le parallèle trop évidents. Certains éléments sont également très exagérés, trop vite, ce qui je trouve nuit à la crédibilité de certains passages. Enfin, j’ai trouvé que les parties consacrées à la psychanalyse d’Aurore Henri n’apportaient finalement pas grand chose à l’histoire.

Un roman dystopique solide et convaincant

Malgré quelques défauts, la dictatrice est donc une dystopie intéressante et originale qui se concentre sur le point de vue de la personne à la tête du régime. Les éléments de construction du mythe sont très bien illustrés et mis en avant, démontrant comment des valeurs peuvent se transformer en cauchemar, que le pas entre l’utopie paradisiaque et la société totalitaire est aisément franchi.

Note : 15/20

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Catégories : Chroniques

2 commentaires

Yuyine · 11 février 2020 à 13 h 34 min

J’ai vraiment envie de le découvrir, malgré ses défauts, sans pour autant en attendre beaucoup trop grâce à toi

    La Geekosophe · 14 février 2020 à 21 h 23 min

    Oui, il reste très intéressant et les défauts sont finalement minimes 🙂

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