Une autre lecture pour le Hold My SFFF ! Ce roman russe traînait dans ma PAL depuis quelques années déjà, alors même que son histoire est très intrigante. Le vivant d’Anna Starobinets nous propose un monde dans lequel tous les humains sont interconnectés, formant comme une unique conscience. Un parti pris de départ qui ne manque pas d’originalité et nous entraîne dans un univers unique en son genre.
Le récit entre aussi dans le défi Cortex.
Synopsis de « Le vivant »
Dans un futur lointain, les humains sont connectés via des implants à un réseau commun. Ensemble, ils forment un organisme unique, le « Vivant ». La mort n’y existe pas : dès qu’un individu est « mis sur pause », son code génétique renaît dans un nouveau corps. Le nombre d’humains est constant – trois milliards.
Le Vivant vacille sur ses bases lorsque l’impensable survient : un homme naît. Il est sans code, sans patrimoine, il n’est la réincarnation de personne. On l’appelle Zéro. Placé sous étroite surveillance, il devra trouver des réponses sur son identité dans un monde réputé parfait…
Une vision glaçante du futur
Un présupposé de départ créatif
Le début du récit est très séduisant. Anna Starobinets propose un monde qui repose sur des fondements vraiment originaux. En effet, nous sommes dans un monde où les individus sont tous interconnectés par Le Socio, une sorte d’internet mais qui est implanté à un très jeune âge au sein même des individus. Cet aspect leur donne accès à différentes strates, un phénomène complexe, qui ressemble à la capacité à des individus à accéder à des niveaux de conscience. La première strate est le monde physique, la deuxième leur donne accès au Socio, où chacun peut regarder des divertissements ou communiquer avec ses amis.
On a très vite l’impression d’entrer dans une société étrangère qui obéit à ses propres, bien différentes de la nôtre. L’autrice prend le parti classique mais bien mis en place de nous y faire accéder via différents personnages. Notamment Zéro, un être né sans incode et qui donc n’appartient pas réellement au vivant. En effet, dans cette société, chaque individu est sauvegardé et à sa mort (du moins sa pause, car « la mort n’existe pas »), il se réincarne dans un nouveau-né. Zéro n’a pas de vie passée et est donc une curiosité.
Un monde qui ne manque pas de visions troublantes
Anna Starobinets construit un monde vraiment singulier sur le fond comme sur la forme. Elle utilise pour cela des métaphores très claires. Le Vivant fonctionne comme des sociétés existantes parmi les insectes, qui sont très présents tout au long du récit. Ainsi, Zéro est envoyé dans une maison de correction où les résidents peuvent élever des Pupilles, des insectes. Mais il existe d’autres individus qui élèvent des pupilles. Au contraire, les animaux comme les chiens sont terrifiés par Le Vivant, ce qui marque le détachement de la société des animaux pour bâtir une organisation qui tient plus du domaine des insectes. Il y a quelque chose terrifiant dans cette société d’absolu où toute liberté individuelle ne s’exprime que dans le prisme limité de ce qui est autorisé par le Tout, le Reste, le Vivant.
Cet aspect glacial se traduit du côté de la narration. Plusieurs personnages donnent de la voix à cet univers pluriel. L’autrice utilise différentes formes dans les dialogues. Par exemple, ce qui se passe dans la première strate peut être coupé de textes qui ont lieu dans d’autres strates. Les échanges sont parfois ponctués d’émojis qui rendent la conversation étrangement factice, tant les émotions et les plaisirs ne semblent être qu’un ensemble faux, comme un miroir aux alouettes. L’arrivée de Zéro vient bouleverser cet état de fait, car il pose la question de la place du singulier au sein d’un groupe. Menace ? Sauveur ? Sa naissance dévoile les enjeux de pouvoir qui sont sous-jacents.
Mais une fin opaque
La première partie du roman est passionnante et nous immerge immédiatement. Le récit peut parfois se révéler un peu complexe, car beaucoup de voix se font entendre. Les choix de l’autrice sont cependant efficaces et convaincants. Elle parvient à mettre en place un rythme addictif qui nous donne envie d’en savoir plus sur Zéro et son destin singulier, mais aussi cette société étrange. Ce la s’installe malgré le style de l’autrice, qui se veut parfois très expérimental et peut perdre même le lecteur le plus aguerri dans des métaphores virtuelles sous acide.
Le dernier tiers du roman se révèle cependant un peu différent. dans un premier temps, la transition vers cette dernière partie est assez maladroite et déstabilise complètement la lecture. Ensuite, l’histoire de vient très floue avec une partie politique qui prend beaucoup de place, ainsi qu’une évolution peu convaincante de Zéro. La toute fin n’est malheureusement pas très compréhensible et laisse une impression de manque qui gâche un peu un récit qui autrement était plutôt agréable.
Une dystopie déstabilisante
Inattendu et déconcertant, Le Vivant séduit par la singularité de l’univers qu’il propose. Poussant la réflexion dur l’individualité et la nécessité de la conformité, le récit est très cru quand il parle de marginalité. L’autrice construit un monde aux fonctionnements qui servent parfaitement son discours, sur une humanité conquise par le transhumanisme au point de devenir une conscience unique, stable et interconnectée. La coercition est douloureuse autant qu’elle est subtile. Le récit est cependant déstabilisant de par des choix narratifs ainsi qu’une écriture qui se veut opaque et métaphorique, nuisant à la compréhension et pouvant perdre le lecteur. L’apothéose étant une fin franchement absconse qui laisse avec plus de questions que de réponses.
Note : 15/20
Vous pouvez acheter le livre par ici. Toutes les chroniques sont par là.
4 commentaires
Lutin82 · 29 novembre 2020 à 17 h 45 min
je suis saturée de dystopie, alors je ne prends que les incontournables. Celle-ci, a l’air sympa, mais ta conclusion sur une fin absconse …
La Geekosophe · 30 novembre 2020 à 10 h 21 min
C’est un genre qui est très populaire et qui a parfois du mal à se renouveler j’ai l’impression ! L’aspect transhumanisme de ruche est très bien traité dans Le Vivant, mais la fin m’a laissé très dubitative et a un peu fait retomber le soufflet. J’avoue que le dernier tiers m’a moins captivé :/
Shaya · 9 décembre 2020 à 21 h 43 min
Dommage pour la fin ! Il faudrait tout de même que je teste un jour cette autrice dont j’ai eu de bons échos.
La Geekosophe · 12 décembre 2020 à 11 h 33 min
Je vais me lancer l’année prochaine dans un de ses recueils de nouvelles : Je suis la reine !