J’aime beaucoup découvrir de nouvelles dystopies. Nous d’Evgueni Zamiatine est une contre-utopie qui fait partie des premières du genre. Je n’en ai entendu parler que très récemment. Écrite au cœur de l’URSS, le régime avait bien sûr interdit la parution de ce livre. Entre ville de cristal, cérémonie étranges et mode de vie calculée à la minute, qu’ai-je pensé de ce livre ?

Synopsis de Nous

Dans une société assujettie au bonheur infaillible et obligatoire, alors que la “dernière” de toutes les révolutions possibles a eu lieu, les hommes, enfermés sous une cité de verre, sont devenus des “Numéros”. Ceux-ci paient de leur vie le moindre écart à l’ordre établi contre lequel, malgré tout, une poignée de dissidents va s’insurger.
D-503, constructeur de l’ »Intégrale », un vaisseau spatial qui a pour mission de ranger les civilisations extraterrestres sous la férule du “Bienfaiteur”, y tient un journal à la gloire de ce monde aseptisé et y consigne les débuts d’une insurrection qui va peu à peu le transformer.

Une anti-utopie qui aime l’ordre

La transparence et la régularité comme règles de vie

Evgueni Zamiatine nous projette loin dans le futur. D-503, mathématicien, vit dans une société où tout contrôlé au maximum. La priorité est donné au chiffre. Chaque citoyen obéit à un emploi du temps strict, n’ayant droit qu’à une heure par jour de temps libre. Chaque activité est soigneusement dictée et choisie pour la productivité. Sans choix, ni doute, c’est le bonheur le plus pur pour un peuple à la vie millimétrée. Mieux qu’une vie sans choix, ce nouveau régime sous la houlette du mystérieux bienfaiteur, propose une vie sans secrète. Les habitants vivent dans des maisons aux vastes murs de verre, qui laissent passer la lumière et le regard des autres. Si les volets sont parfois autorisés, c’est seulement pendant l’heure libre ou lorsqu’un couple se rencontre. Ainsi, D-503 fait souvent la louange de la pureté de cristal des murs, de la lumière, d’un monde sans ombre aucune.

Mais un monde sans hasard, c’est aussi un monde dénué d’imagination. L’art a bien changé. Les poèmes sont devenus de simples descriptions rythmés, avec un peu de mathématiques. La créativité débridée est vue comme une maladie mentale qu’il faut éliminer. Quant à l’amour hors raison qui élève l’âme, il est aussi à éradiquer. S’il y a un culte qui est rendu, c’est à Taylor. Taylor qui a organisé le travail des hommes pour les rendre similaires à celui des machines. Un travail répétitif, sans fantaisie, sans variation, déshumanisant. Il y a un contraste intéressant entre la langue lyrique et élogieuse qu’utilise D-503 et la platitude du quotidien dans cette société aseptisée. Au fil du roman, on découvre avec lui les plaisirs de l’imprévu et de la fantaisie.

Une prose parfois obscure

J’avoue cependant que malgré l’aspect visionnaire du roman, je me suis parfois ennuyée. En effet, l’auteur affectionne les figures de style et pousse parfois la métaphore un peu loin. Si certains passages sont intelligents et évocateurs, d’autres souffrent d’un certain hermétisme. J’ai ainsi parfois eu du mal à comprendre où l’auteur voulait en venir. De nombreuses phrases restent en suspens. Avec un peu de fatigue, j’ai lu certains passages en diagonal. La lecture se divise en plusieurs notes assez courtes, ce qui ne facilite pas le suivi. L’évolution du personnage D-503 n’est donc pas toujours évidente à suivre et à comprendre. Il a une tendance à beaucoup intellectualiser les choses, et cette tendance s’amplifie alors que son attirance pour l’ancien monde se développe.

Cette anti-utopie pose également les fondations de certains archétypes classiques des dystopies qu’elle a influencés. Comme dans beaucoup de classiques du genre, le personnage principal appartient pleinement à cette société. C’est sa rencontre avec la mystérieuse I qui va le pousser vers la rêverie. I est une rebelle anticonformiste qui va le guider vers une rébellion qui grandit discrètement près de la ville de cristal. C’est cette rencontre et ce coup de foudre qui vont pousser D-503 à repenser sa vie. Mais cela peut-il suffire ? Sans que ce soit un véritable défaut, vous n’allez pas être surpris par cette lecture. En revanche, je reconnais que Nous dégage une certains force dans sa vision, ce qui en fait une lecture marquante.

« Nous », un roman marquant mais exigeant

Evgueni Zamietine est sans aucun doute un écrivain visionnaire. Sa société en appelle à des concepts d’organisation dédiés au monde du travail pour l’adapter au quotidien de la population. Résultat des courses : une société où tout est calculé, mesurée, à l’aune de la sacro-sainte efficience et productivité. En somme, l’égalité absolue à l’heure de l’efficacité. Dans ce monde enfant étrange du capitalisme et du communisme, l’imagination est interdite. Les citoyens sont soumis à l’autorité d’un bienfaiteur, qui n’hésite pas à éliminer publiquement les individus un peu trop rêveurs ou un peu trop agités (avec bienfaisance bien sûr). C’est donc une œuvre classique de la dystopie / contre-utopie, qui peut se révéler prévisible pour le lecteur moderne féru de ce sous-genre. L’auteur a également a un style très métaphorique qui s’accentue avec le changement de mentalité de son personnage principal, qui développe petit à petit une forme de sensorialité pure qui rend le style parfois abscons.

Vous pouvez acheter le livre par ici. Toutes les chroniques sont par là.

Catégories : Chroniques

2 commentaires

L'ourse bibliophile · 25 mars 2025 à 17 h 19 min

Ce livre m’intrigue depuis des années, donc j’ai apprécié lire ton avis nuancé. Je ne sais pas si je vais accrocher à ce récit, mais je pense lui pardonner ses facilités scénaristiques puisqu’elles ne l’étaient pas forcément autant en 1920. Si l’occasion se présente, je tenterai l’expérience.

tampopo24 · 26 mars 2025 à 7 h 05 min

J’avoue que je suis curieuse du fait de l’auteur car je ne crois pas avoir déjà lu de la SF russe. Mais le fait que tu t’y sois ennuyée et que la plume ne t’ait pas toujours plu ne le place pas en haut de les priorités. Il faut dire que de base je me suis un peu lassée face au phénomène dystopie

Laisser un commentaire

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.