C’est l’heure du Ursula le Guin de cette année. J’avais lu le dit d’Aka l’année dernière et m’était gardé Le nom du monde est forêt de côté pour plus tard. A l’approche de l’été et du challenge du RSF blog, l’heure est venue de parler de ce planet opera court mais efficace.

Synopsis de Le monde est forêt

Davidson, le capitaine, sait ce qu’il a à faire. La Terre manque de bois ; Athshe, la planète-forêt, en fournit autant qu’il faut. Les créâtes, ces singes verts, abattent les arbres sous les ordres de Davidson. Athshe deviendra un vrai paradis et les créâtes n’en profiteront pas.
Le seul qui les protège, c’est Lyubov, ce crétin de spé. Il a sauvé l’un deux, Selver, qui renâclait parce qu’on avait tué sa femme. Un comble ! Et maintenant Selver et quelques autres ont fui dans la forêt ; ils sont un peu moins rêveurs ; ils deviennent violents, commes les umins. Mais le pire, c’est que la Terre entre dans la Ligue des Mondes et qu’il faut arrêter le massacre. Et Selver songe à se venger en chantant.

Violence et colonialisme dans l’espace

Les humains n’aprennent rien

Une fois de plus, Ursula Le Guin tape dans le mille ! Elle nous propose un récit court, au propos simple, mais accompli avec une certaine puissance. Les humains colonisent une planète lointaine, Athshe. Forestière, les habitants locaux sont une races de petits être à la fourrure verte qui semblent peu actifs. De parfaits travailleurs pour alimenter une Terre qui manque de tout en bois. L’intelligence du propros est porté par plusieurs points de vue. Nous commençons par Davidson. Arrogant, il est la figure archétypale de l’homme colonialiste. C’est assez brutal en tant que lecteur d’être plongé dans la pensée d’un personnage aussi haineux : les femmes sont des objets, les créates moins que des animaux. La Nouvelle Tahiti ? Une terre à modeler à l’image de l’idée qu’il se fait de la civilisation. Le Guin parvient à rendre ce personnage détestable, mais pas cliché pour autant, comme si elle avait compris les ressors puissants du racisme et de la domination.

Ensuite, nous suivons Selver. Créate rebelle après le viol et la mort de sa femme, il lance la rebéllion. Il nous aide à comprendre la façon de fonctionner de son peuple. Ainsi, ce que Davidson considère comme de la fainéantise, c’est un rythme circadien différent. Les créates vivent le rêve comme s’il était réalité, c’est un élément essentiel de leur culture. Aux côtés de ce narrateur, nous découvrons les subtilités d’un peuple pacifique, dirigé par des femmes, mais qui connaît pour la première fois la violence de masse lors de ces rebéllions. Dernier point de vue : Lyubov est un scientifique qui s’intéresse de près aux créates et leur façon de vivre. Il se fait le pont entre deux cultures, mais à quel prix ? Ces trois personnages montrent les effets pervers de la domination, du manque de curiosité et d’empathie.

La violence est une maladie

Le temps passe plus vite sur Terre, chaque messages prend plusieurs dizaines d’années à atteindre sa destination. Assez pour que les mentalités changent. La Terre rejoint un ordre intergalactique respectant les autres espèces. Mais ce n’est pas suffisant à endiguer la mécanique qui est en place. Même si les créates sont des millions, Davidson refuse de donner à ces humanoïdes le droit de vivre. Le Guin décrit admirable cette descente dans la folie. Mais aussi cette escalade : la réponse répond à la violence, dans un cercle infernal, un cycle sans fin apparemment. J’ai trouvé beaucoup d’intérêt à la façon dont la violence s’instille dans la civilisation créate, comme un héritage maudit qu’ils n’ont pas voulu, mais qu’ils n’ont pas pu éviter pour leur propre survie.

Ursula Le Guin a un vrai don pour construire des civilisations différentes, bien articulées et crédibles. On sent que ses parents étaient anthropologues. ici, elle nous montre une civilisation où tout est construit autour de la forêt, là où la terre est minérale. Elle montre au coeur de ces deux mondes une forme d’incompréhension, d’impossibilité de s’entendre. De se comprendre. Mais des êtres comme Lyubox ou SElver sont capables d’être des ponts entre ces deux civilisations, mais d’autres individus ont d’autres plans. L’histoire a quelque chose de tragique, car il ne semble pas avoir d’issue totalement positive. Selver clôt le roman sur une conclusion souce-amère, qui a beaucoup résonné en moi.

Le nom du monde est forêt : un planet opera intelligent et bien construit

Ursula Le Guin frappe par son talent et sa sensibilité. Elle raconte le choc de deux cultures. Colonisation, esclavagisme, violence… Ce voyage spatial nous amène sur des rivages sombres que nous avons trop bien connus. L’autrice fait preuve d’une connaissance accrue des ressors psychologiques et anthropologiques de la recherche de domination d’une société sur une autre. Avec une approche polyphonique, le lecteur comprend les enjeux et les spécificités de chaque partie. Le tout jusqu’à la fin, douce-amère et tragique, qui pose la question de la diffusion irréversible de la violence et de ses impacts.

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Catégories : Chroniques

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