Après avoir lu Widjigo l’année dernière, j’avais très envie de découvrir d’autres œuvres d’Estelle Faye. Les Seigneurs de Bohen était dans ma PAL, ce qui tombait bien. L’histoire de la chute d’un Empire a de quoi attirer l’attention, d’autant plus à travers plusieurs points de vue ! Qu’en ai-je pensé ?

Synopsis de Les seigneurs de Bohen

Je vais vous raconter comment l’Empire est mort. L’Empire de Bohen, le plus puissant jamais connu, qui tirait sa richesse du lirium, ce métal aux reflets d’étoile, que les nomades de ma steppe appellent le sang blanc du monde. Un Empire fort de dix siècles d’existence, qui dans son aveuglement se croyait éternel. J’évoquerai pour vous les héros qui provoquèrent sa chute. Vous ne trouverez parmi eux ni grands seigneurs, ni sages conseillers, ni splendides princesses, ni nobles chevaliers… Non, je vais vous narrer les hauts faits de Sainte-Étoile, l’escrimeur errant au passé trouble, persuadé de porter un monstre dans son crâne. De Maëve la morguenne, la sorcière des ports des Havres, qui voulait libérer les océans. De Wens, le clerc de notaire, condamné à l’enfer des mines et qui dans les ténèbres découvrit une nouvelle voie… Et de tant d’autres encore, de ceux dont le monde n’attendait rien, mais qui malgré cela y laissèrent leur empreinte. Et le vent emportera mes mots sur la steppe. Le vent, au-delà, les murmurera dans Bohen. Avec un peu de chance, le monde se souviendra.

Un roman prometteur mais qui ne réalise pas pleinement son potentiel

Un univers original

Ce que j’ai apprécié dans un premier temps, c’est qu’Estelle Faye ne place son récit dans un univers médiéval d’Europe de l’Ouest traditionnelle. Elle choisit plutôt de s’inspirer d’Europe de l’Est, à travers un folklore peuplé de vodianoï ou de Roussalka. Le système politique est formé de Margraves, seigneurs militaires turbulents qui remettent en cause la puissance de l’Empereur. Outre les aspects slaves, il y a aussi une partie du monde, près des côtes, qui est plus proche des inspirations bretonnes. Avec son phare de Bratz qui domine des mers où errent d’imposants et mystérieux noirs. Ce positionnement permet d’échapper dans un premier temps à l’effet lassitude qui pourrait naître de tomber une fois de plus dans une histoire aux contours classiques.

Mais l’autrice va plus loin encore en proposant un monde qui est en pleine bascule. On retrouve les avancées technologiques qui ont su modifier l’Histoire. C’est le cas avec les apparitions des armes à poudre, qui peuvent changer le sens d’une bataille. Il est également évoqué les débuts de l’imprimerie, qui permettent de propager des idées nouvelles (et rebelles) à travers un Empire à bout de souffle. Estelle Faye pose donc les pierres d’une histoire qui aurait pu avoir une vraie ampleur, analysant les éléments qui provoquent la chute des Empires et agitent les peuples.

Jolie plume et belle ambiance

Et comme le récit se veut tendre vers la dark fantasy, l’ambiance mature et sombre est de mise et plutôt réussie. Comme tout monde en transition, Bohen traîne son lot de misères. Les guerres anciennes ont laissé des cicatrices qui peinent à guérir. La pauvreté hante les rues. Des pans de population sont laissés pour compte, comme les magiciens, qui ont mauvaise réputation, ou les Essènes. Ces derniers ressemblent au peuple juif, notamment par leurs légendes liées aux golems et le fait qu’ils vivent pauvrement dans des quartiers dédiés. Des navires fantômes étranges menacent les côtes, trop mal dotées pour de défendre seules. L’autrice parvient à faire sentir ces aspects fragiles, les failles dans le système.

J’apprécie aussi beaucoup Estelle Faye pour sa plume. Je la trouve très fluide et poétique. Le roman ne fait pas exception. Ici, elle est particulièrement douée pour mettre en avant les sentiments et les pensées de ses personnages. Elle trouve un bon équilibre entre émotions, poésie et moments plus actifs, même s’il manque une scène de combat marquante pour soutenir le scénario. C’est particulièrement visible dans les lettres de Ioulia la Perdrix, qui offrent de beaux moments de prose.

Des personnages variés pour des romances trop présentes

L’autrice a créé de nombreux personnages aux personnalités fouillées. Ils ont tous assez intéressants et bien construits. J’ai bien apprécié Maëve, fille d’armateur, magicienne du sel, qui doit trouver le moins de s’adresser à l’Impératrice folle pour sauver son peuple. Sainte-Etoile et Morde, le bretteur et le démon dans sa tête, forment un duo piquant qui apporte une touche d’humour. On a du plaisir à suivre chacun des arcs narratifs dans un premier temps, d’autant plus que nous sommes immédiatement immergés dans l’action.

Mais comme vous le constatez, je termine chacun de mes paragraphes sur une note un peu plus réservée. En effet, vous savez sûrement que je n’aime pas vraiment les romances trop présentes dans mes romans SFFF. J’ai trouvé que Les seigneurs de Bohen tombaient dans cet écueil. Chaque arc narratif apporte son lot de relations. Si on peut saluer que ce soit très queer, elles prennent le pas au milieu de roman sur l’intrigue et pousse au dernier plan la chute de l’Empire. Celle entre le chien de guerre et Sorenz montre même quelques incohérences, car nous sommes censés être un univers qui voit d’un très mauvais œil les relations homosexuelles. Mais la perspective effleure assez peu les protagonistes et des décisions stratégiques incohérentes sont de mises. C’est d’autant plus étrange que c’est presque parfois à l’opposé de la personnalité qu’ils sont censés avoir.

Les seigneurs de Bohen est un joli roman de fantasy, mais qui manque d’équilibre

Il ne manquait pas grand chose pour que le roman me conquiert pleinement ! C’est un plaisir de retrouver la plume fluide et poétique d’Estelle Faye, qui parvient une fois de plus à bâtir des personnages convaincants et approfondis. L’univers est un point fort qui aurait mérité d’être accentué : les ambiances slaves et bretonnes sont envoûtantes, le tout dans un contexte de changement technologique et culturel majeur. Elles permettent au roman de trouver une identité bien à lui dans de la fantasy souvent marquée par le médiéval d’Europe de l’Ouest. J’ai cependant trouvé que le récit perdait son histoire originelle et son rythme dans des romances un peu falotes qui contrastent étrangement avec la volonté de créer un monde sombre et violent. Le livre a cependant trouvé son public, du coup n’hésitez pas à lire plus de chroniques si vous pensez qu’il pourrait vous plaire.

Note : 14/20

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Catégories : Chroniques

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