J’étais curieuse de découvrir l’œuvre de Tananarive Due. Après tout, j’aime l’horreur, j’aime trouver des autrices peu connues en France… Alors cette spécialiste de la Black Horror était tout indiquée. My soul to keep a, en plus, une histoire prometteuse, qui parle d’Immortalité, d’Amour et de violence. Alors, qu’en ai-je pensé ?

Synopsis de My soul to keep

Lorsque Jessica épouse David, il est tout ce qu’elle attend d’un père de famille : brillant, attentif, toujours juvénile. Pourtant, elle a toujours l’impression que quelque chose en lui est hors de portée. Bientôt, alors que des proches de Jessica commencent à connaître une mort violente et mystérieuse, David fait une confession inimaginable : Il y a plus de 400 ans, lui et d’autres membres d’une secte éthiopienne ont échangé leur humanité pour ne jamais mourir, un secret qu’il doit protéger à tout prix. Aujourd’hui, ses frères immortels ont décidé que David devait revenir et laisser sa famille à Miami.

Presque un livre de vampire, mais plus que cela

Un récit d’immortalité et de violence

Je sais à peine par où commencer cette chronique. Nous suivons David / Dawit, un homme qui semble jeune pour son âge, charmeur, cultivé, multilingue… mais également un être immortel qui parcourt le monde depuis des siècles. Il s’est marié, contre les règles de son ordre, avec Jessica, une journaliste ambitieuse et pugnace. Comment vivre au quotidien avec un secret aussi lourd ? Avec l’idée qu’un jour, sa femme et sa fille mourront quand Dawit continuera de vivre sur terre encore pour des siècles et des siècles ? Le mari parfait doit faire face à cette question quand son passé risque de refaire surface et se rapproche de plus en plus du métier de sa femme. S’ensuit un jeu dangereux entre chasse, violence et mensonges. Que ce soit de la part de Dawit pour se protéger ou protéger sa famille, mais aussi de par le retour de ses frères immortels, qui semblent vouloir mettre un terme à sa villégiature mortelle. On se retrouve donc avec deux questionnements : que feriez-vous si votre compagnon / compagne était en réalité un immortel qui vous a manipulé pendant des années ? Comment l’immortalité affecte-t-elle les humains ?

Le premier questionnement installe une ambiance inquiétante, notamment car on alterne entre deux personnages qui ont une connaissance très asymétrique des événements. En tant qu’Immortel membre d’une secte éloignée du monde, qui a déjà vécu des relations prohibée avec des femmes par le passé, Dawit a une vision très particulière du monde. A un niveau personnel, il ne semble pas faire grand cas des autres humains en dehors de sa femme et de sa fille. Sous prétexte de les protéger, il prend des décisions, parfois violentes, qui les blessent plus qu’autre chose, car il fait ce qui lui semble le mieux pour elles. Il ne souhaite pas que Jessica soit sa propre personne, n’approuve pas sa carrière, lui propose de quitter la région pour se protéger. A moins que ce soit pour protéger son illusion de Paradis isolé ? Car la famille de Jessica, notamment sa sœur, a des doutes sur le soi-disant parfait, mais si possessif, David. Ensuite, en tant que noir né en Éthiopie, mais immortel, il a vécu aux États-Unis contre l’avis des siens, en pleine période d’esclavage. Il en sera une victime à de multiples reprises, ce qui rend sa vision de l’Amérique moderne pour le moins partagée, complexe et ambivalente.

Une horreur patiemment construite qui prend au piège des personnages très humains

L’autrice prend le temps de poser son ambiance, lente, avec une montée graduelle vers le surnaturel. Certains passages sont difficiles, car on part dans des recoins sombres. L’écriture est particulièrement fluide et prenante, mais attendez-vous à une histoire patiemment construite, avec un retournement de situation qui change les perspectives en milieu de roman. Les échanges de points de vue permettent de construire une histoire avec de multiples couches. Comme je l’ai écrit plus tôt, il y a une asymétrie des connaissances entre les protagonistes qui créent, tout au long du récit, une forme de tension. Même du point de vue de David / Dawit, tout n’est pas partagé et des mystères demeurent. Si on se demande quand Jessica va se douter quelque chose cloche, on se questionne également sur la façon dont Dawit va cacher son existence à ses Anciens Frères, ou justifier leur présence. Tananarive Due fait preuve d’une certaine finesse dans la mise en place des personnages.

Comme dans beaucoup de livres qui choisissent de mettre en scène des personnages humains, peu sont totalement attachants. David apparait vite comme froid, détaché et arrogant dans de nombreuses situations, à cause des connaissances accumulées durant sa longue vie. Si Jessica apparait comme une femme ambitieuse et déterminée, son attachement aveugle à la religion et son déni face à des preuves évidentes ne plaident pas en sa faveur. On se demande même comment elle a attiré l’attention d’un immortel centenaire à la sagesse et à la culture infinies. Elle fait preuve de beaucoup de jugement envers sa sœur aînée, non mariée. Ainsi, les seuls personnages que j’ai trouvés agréables étaient la sœur justement, Alex, qui semble avoir les pieds sur terre, et le meilleur ami de Jessica. Peter est son collègue, et un soutien précieux de la jeune femme. Le roman repose donc beaucoup sur les mécaniques du relationnel, mais aussi sur la place du passé, historique comme familial, sur notre façon de faire face au monde.

My soul to keep offre une relecture percutante de la figure de l’Immortel

J’ai donc trouvé ce roman unique et intelligemment mené. Le rythme ne plaira pas à tout le monde, pas plus que le duo principal. Mais ce n’est pas le propos du roman, qui pose la question de la place de l’étrangeté qui envahit le quotidien, doucement, jusqu’à ce que les secrets deviennent insoutenables. Peut-on éternellement échapper à son passé ? Comment faire face à un secret énorme de la part de sa moitié ? Tananarive Due construit une horreur d’ambiance lancinante, traversée de moments sanglants. Elle pose également la question de la place du contrôle dans le couple, symbolisée par les points de vue asymétriques, mais aussi par le comportement ambigu de Dawit.

Note : 17/20

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Catégories : Chroniques

2 commentaires

Parlons fiction · 30 juin 2023 à 22 h 54 min

Je ne le répèterai jamais assez : j’adore parcourir ton blog pour découvrir des pépites dont je n’entends jamais parler ailleurs. J’ai vu ce livre sur ton compte Instagram, j’étais intriguée. Après avoir lu ta chronique, je sais que c’est un roman que je dois lire à présent ! La figure de l’Immortel me parle beaucoup. Je l’ajoute à ma wishlist. Merci pour la découverte

    La Geekosophe · 11 juillet 2023 à 13 h 22 min

    Merci ! Je n’arrive plus du tout à me souvenir comment je me le suis dégoté, celui-là

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