Le dernier point lecture de l’année est en ligne ! Je suis satisfaite de mon mois de lecture, qui a été diversifié. J’ai fait beaucoup de nouvelles découvertes et j’ai relu des genres que j’avais un peu délaissés au fil des années, notamment essai et thriller. Vous êtes prêts ?
L’antre du tonnerre de Dean Koontz
La tête avait été tranchée du reste du corps, l’épiderme avait des nuances gris-vert, on voyait du pus séché aux commissures des lèvres, des ampoules hideuses autour du nez tuméfié, des taches noires suintantes de décomposition aux coins des yeux.
Figée d’horreur, Susan avait reconnu la tête de Jerry Stein, son fiancé, mort treize ans auparavant dans des circonstances horribles, lors d’une cérémonie d’initiation dans une confrérie.
Il est bien difficile de conserver son sang-froid, quand les hallucinations et les visions de cauchemar se succèdent. Dans ce monde de démence et d’épouvante, Susan se sent sombrer peu à peu…
L’idée du roman, de suivre Susan, une scientifique confrontée à des visions terrifiantes après un accident, ne manque pas d’intérêt. L’aspect clos de l’histoire dans la chambre d’hôpital crée une atmosphère oppressante, renforcée par la vulnérabilité de Susan. Les questionnements sur la réalité des hallucinations ajoutent une dimension intrigante entre horreur et fantastique. Cependant, malgré le caractère fort de Susan, l’histoire peut sembler répétitive et teintée d’une tonalité un peu datée. Les rebondissements finaux, bien que rocambolesques, manquent de crédibilité, laissant une impression mitigée.
Journal d’un AssaSynth, tome 1 : Défaillances systèmes de Martha Wells
« J’aurais pu faire un carnage dès l’instant où j’ai piraté mon module superviseur ; en tout cas, si je n’avais pas découvert un accès au bouquet de chaînes de divertissement relayées par les satellites de la compagnie. 35 000 heures plus tard, aucun meurtre à signaler, mais, à vue de nez, un peu moins de 35 000 heures de films, de séries, de lectures, de jeux et de musique consommés. Comme impitoyable machine à tuer, on peut difficilement faire pire. »
Et quand notre androïde de sécurité met au jour un complot visant à éliminer les clients qu’il est censé protéger, il ne recule ni devant le sabotage ni devant l’assassinat ; il s’interpose même face au danger, quitte à y laisser des morceaux.
Défaillances systèmes de Martha Wells s’est avéré être une plongée réussie dans un univers riche en action et en réflexion sur la nature de la vie synthétique. Malgré mes réticences initiales envers les novellas, l’histoire concise et bien construite m’a rapidement immergé dans les péripéties de l’AssaSynth, un androïde aux traits ironiques et attachants. Le mélange d’humour, d’action et de questionnements sur l’humanité a donné une profondeur inattendue à ce récit. À travers des dialogues dynamiques et des réflexions intérieures, le narrateur nous guide habilement à travers une mission sabotée sur une planète lointaine, révélant les complexités d’un univers où les synthétiques cherchent leur place parmi les humains. En dépit de la brièveté de la novella, Martha Wells parvient à esquisser un monde fascinant, laissant au lecteur une envie insatiable d’explorer davantage cette réalité où l’ironie se mêle à l’action et à la réflexion.
Les couilles sur la table de Victoire Tuaillon
Qu’est-ce que ça veut dire d’être un homme, en France, au xxie siècle ? Qu’est-ce que ça implique ? Pour dépasser les querelles d’opinion et ne pas laisser la réponse aux masculinistes qui prétendent que “le masculin est en crise”, Victoire Tuaillon s’est emparée frontalement de la question, en s’appuyant sur les travaux les plus récents de chercheuses et de chercheurs en sciences sociales. Ensemble, au fil des épisodes de son podcast au titre percutant, elles et ils ont interrogé la masculinité et ses effets.
Empathique, bien détaillé et facile d’accès, Les couilles sur la table aborde des sujets tabous de notre société avec recul et intelligence. Alternant entre recherche, statistique et témoignages multiples, l’essai est bien documenté. La forme est agréable, portée par une mise en page aérée colorée qui met bien en avaleur le discours. L’autrice nous donne les clés pour approfondir des sujets autour du consentement, de la charge mentale, à travers la construction de la masculinité, l’injonction à la virilité… Mais sans pour autant porter un jugement.
Afrofuturisme, anthologie sous la direction de Stéphanie Nicot
L’anthologie des Imaginales 2022 fête les vingt ans du festival en vous offrant vingt textes : un avant-propos et dix-neuf nouvelles, dont les récits saisissants de deux des autrices afro-américaines les plus passionnantes du moment, Sofia Samatar (Demande de prolongation de contrat de travail à bord du Clarity) et Rivers Solomon (Soif de sang).
Les auteurs, dont beaucoup sont afrodescendants, nous entraînent dans des mondes qui ont déjà changé de base (Blanche Neige et le triangle quelconque, Dans les matongo de coton et de polymère, Miss Washington, La Paraphrase du Masque). D’autres évoquent le moment où tout bascule (Les Ciseaux de sang, De l’autre côté de la nuit, Nine Inch Man, Twati an vè-a). D’autres encore nous emmènent dans l’espace (La Tête d’Olokun, Venus Requiem, Itinéraire d’une migrante martienne, Plus que la terre encore) ou dans les arcanes du temps (Reine égarée) ; ils évoquent aussi une utopie (Le Nombril du monde), une alternative au renoncement (L’Amour est source de vie), la façon de sortir d’un piège (Souvenir organique) ou Patrice Lumumba, héros de la décolonisation (Léopard cha-cha).
L’anthologie des Imaginales 2022, dédiée à l’afrofuturisme, offre une plongée dans des mondes où le changement est inévitable. La diversité des auteurs, confirmés ou émergents, apporte une richesse d’idées et de perspectives. Certains récits captivent par leur originalité, comme « La tête d’Olokun » et « Blanche-Neige et le triangle quelconque », mais l’inégale représentation des cultures africaines et la tendance à présenter les personnages racisés comme des victimes soulèvent des questionnements légitimes. Malgré les polémiques liées à la sélection, la véritable problématique semble résider dans la compréhension de l’afrofuturisme, laissant place à une réflexion sur la nécessité d’une approche plus nuancée et inclusive. En fin de compte, l’anthologie offre une exploration, parfois hésitante, d’un courant littéraire en constante évolution.
Agrapha de Luvan
À l’origine fut un manuscrit du Xe siècle. Apocryphe, peut-être pas. À l’origine furent huit femmes, chacune venue d’un lointain horizon, unies dans une grotte au cœur de la forêt. Ensemble, elles racontent ou taisent leur vie de recluses, leur destinée loin du monde et pourtant si proche de lui. Elles parlent mille langues en une seule, mêlant leur âme en un poème morcelé que l’autrice ensuite cimente d’or et de miel. Et de cette tresse de mots naîtra l’apocalypse. Dans ses cahiers, l’autrice a minutieusement recousu l’histoire de cette constellation féministe, désormais sanctuaire que le temps s’est chargé d’éroder. Mais son enquête se dilue avec sa mémoire. Les souvenirs se troublent : n’est-ce pas elle, cette entité manquante, la neuvième femme ayant appartenu à ce clan d’illuminées radieuses ? A-t-elle réellement écrit ces fragments aux côtés de ses sœurs d’antan ? Il subsiste de leurs existences des traces indicibles que seule l’écriture parvient à faire rejaillir. Parmi les odeurs d’écorces et les accents d’anciens parlers, c’est à l’aube de l’an mil qu’irradient le vécu de ces femmes et leur puissance épiphanique.
Une lecture aux textures singulières. Agrapha nous entraîne dans un Moyen-Âge de femmes, parmi des femmes saintes qui vivent en communauté isolée. Mais le roman nous entraine dans un jeu de traductions, entre rêve et réalité. J’ai beaucoup aimé le mélange de langues dans le texte, qui donne aux écrits un rythme et une identité unique. C’est magnifiquement écrit, onirique et mystérieux, mais aussi difficilement descriptible. D’où le titre, Agrapha, ce qui ne s’écrit pas, qui n’est pas écrit ou qui ne doit pas etre écrit. Les textes jouent beaucoup sur la multiplicité des sens, mais aussi sur les non-dits. Ce qui est visible à travers la forme, puisque le roman se plait à retranscrire les matières des parchemins, jouent avec les ratures, les réécritures, pour fournir un curieux objet, sur le fond comme sur la forme.
Isoline de Judith Gautier
Gilbert, lieutenant de marine, est en permission, pour se rétablir après une maladie. Mélancolique, il trouve la vie ennuyeuse et pense que rien ne peut toucher son cœur, lorsqu’il croise le chemin d’Isoline et en tombe amoureux. De son côté, la jeune fille, qui vit isolée dans un château où son père refuse de lui parler et évite tout rapport avec elle, pense n’avoir plus rien à espérer de la vie. Sa rencontre avec Gilbert va changer ses perspectives et la relation amicale qu’ils nouent va rapidement se transformer en passion amoureuse. Mais le père d’Isoline ne l’entend pas de cette oreille et décide d’enfermer la jeune fille dans un couvent.
Un roman gothique, une histoire qui semble classique, mais avec un twist. Judith Gautier nous présente une jeune fille au caractère de feu dans une Bretagne mystérieuse. Le personnage féminin est ainsi moins passif que dans d’autres histoires de l’époque, elle est au contraire volontaire et tente de se sortir de la solitude injuste dans laquelle elle est plongée. La plume est agréable et poétique, mêlant en scène les paysages bretons et la vie de village avec talent.
Quelle est votre lecture marquante de décembre ?
4 commentaires
Parlons fiction · 30 décembre 2023 à 14 h 44 min
Un très beau bilan ! Tu as un super rythme de lecture, j’aimerais avoir le même
La Geekosophe · 4 janvier 2024 à 22 h 30 min
C’est l’effet « j’ai posé des petits jours de congé par ci par là » 😀
tampopo24 · 31 décembre 2023 à 13 h 16 min
Un beau bilan éclectique.
Plusieurs titres m’intriguent et sont peu connus j’ai l’impression.
Belles fêtes à toi ☺️
Shaya · 1 janvier 2024 à 16 h 38 min
Beau bilan ! Je n’avais pas vu passer ce Luvan qui m’a l’air bien intrigant.